« Comment se fait-il aujourd’hui que le corps d’une femme de 30 ans, objet de mises en garde, d’attentions particulières et de conseils dédiés, subisse tant de violences et que son désir soit à ce point étouffé ? Parce que le désir, c’est comme la liberté, comme le feu. Ça s’étouffe. »
Flot auto-fictif mêlant écriture de soi et terminaisons sociologiques et politiques, un récit sans concessions qui scrute les permanences banalisées de la domination masculine et la construction de l’injonction à l’hétérosexualité.
Extrait
Par quoi ça a commencé ?
C’est ce que vous vous demandez,
C’est ce que vous aimeriez bien savoir.
Par quoi ça a commencé.
C’est ce que moi aussi je me demande.
Car qui pourrait dire exactement par quoi ça commence,
A quel moment précis le piège, (Car-il-s’agit-d’un-piège-je-ne-crains-pas-de-dire-ici-etdevant-
toustes-qu’il-s’agit-d’un-piège)
A quel moment précis ça s’est refermé sur moi,
Comment ça enserre comment ça circonvient comment ça tenaille,
Ouais, par quoi ça commence ?
Peut-être que, dès l’origine
Dès la matrice
C’était déjà là,
Car ça débute peut-être par des mots, peut-être oui,
Qu’à mon commencement était leur verbe
Que je les entendais déjà les mots
A travers le ventre
Les mots qui transpercent l’eau stagnante
Les mots en corps à peau
Ils arrivent directement par intraveineuse
Par voie ombilicale
Les mots amniotiques qui nourrissent
Déjà je les entends
Déjà ils me désignent.
Je n’existe pas ou presque ou si peu
Mon corps est celui d’une larve
Une bacille infime, un amphibien aveugle
Et entre deux battements de coeur tandis qu’une sonde glacée revêtue de plastique ausculte mon appareil génital en mutation
Voici que je suis désignée
Voici que ça bat plus vite le deuxième coeur !
Voici que ça caresse à travers la membrane
Car on a dit ce que j’étais, ce que j’allais être
Ces mots que je suce comme un suc par le cordon
Qui me murmurent une berceuse maudite
Une malédiction douce, une tannée miraculeuse et sucrée, un avertissement atavique
Ce qui va advenir de mes membres qui barbotent dans le noir le plus absolu
Mais il y a plus précis encore,
Vous en pensez quoi ? Il y a plus précis encore ?
Oui, voilà ce que je me dis aujourd’hui
Peut-être ça, non ?
Qu’il y a eu cet instant, cet instant immémorial et inénarrable, oui, cet instant où il a fallu m’extirper d’elle, où il m’a fallu ramper longtemps dans sa cavité, bloquée soudain à en comprimer mes côtes minuscules puis m’expulser au grand jour et nos larmes et nos cris ont été presque communs et c’est la même angoisse d’être en vie qui nous traverse à cet instant précis dans le soulagement de la douleur et de la rencontre et on me saisit gluante et sanguinolente, on me brandit, on m’ausculte et dans un silence entrecoupé de gémissements de nageuses qui reprennent leurs souffle on m’observe et on crie on hurle presque contre la finesse du tympan ces mots ces mots qui devraient rassurer qui devraient consoler ces mots qui me présentent au monde les tous premiers de ma vie on dit !
INFIRMIERE : REGARDEZ REGARDEZ MADAME COMME ELLE EST MIGNONNE,
COMME ELLE JOLIE, OH VOYEZ VOYEZ COMME DEJA ELLE EST BELLE
Alors,
Oui, par quoi ça commence ?