Alex Lorette : “Mouton noir” / “White pig”

 Camille, adolescente, perdue entre une mère aveugle à son calvaire et une institution scolaire indifférente, est poussée au suicide par le harcèlement haineux d’une bande de filles de son collège. 

Deux dramaturgies correspondant à deux projets de création différents pour raconter avec force et sobriété la même tragédie, celle d’un être fragile rejeté par le groupe en raison de sa différence. Un cas de société qui, partant de faits réels, interroge avec intelligence notre responsabilité collective...

extrait :

VII. Livraison à domicile

 

La bande – Bonjour Madame 

La mère – Vous êtes des amies de Camille ?  Je suis contente de vous rencontrer, Camille ne me raconte rien, c’est bien je suis contente, de voir que Camille a des amies, vous voulez entrer ?  Camille, ne laisse pas tes amies devant la porte 

La bande – C’est gentil Madame, mais on préfère discuter ici, on est enfermées toute la journée, on préfère prendre l’air  

Camille – Elle dit ça comme ça, cette salope 

Mila – Et ta mère qui sourit et qui dit 

La mère – Pas de problème, comme vous voulez, je vous laisse, si vous changez d’avis, n’hésitez pas, entrez  

La bande – Au revoir Madame 

La mère – A bientôt ? 

La bande – Elle est sympa ta mère 

Ouais, vachement sympa 

Classe, bien habillée 

C’est vraiment ta mère, ou t’as été adoptée ?   

On l’a échangée à la maternité 

Ca doit être ça 

Rigolez pas les filles, ça arrive ces trucs là, je l’ai vu à la télé 

Camille – Et elles rient, toutes, de celle qui a dit ça, et j’espère à ce moment là, j’espère, j’espère juste – que quelqu’un d’autre devienne la cible, juste – pour quelques minutes, juste comme ça, respirer, une fois, deux fois, avant que ça recommence 

Mila – Rêver ça suffit pas 

La bande – Ouais.  Elle est sympa cette dame 

Trop sympa 

La pauvre 

Elle est à plaindre  

Pas de chance, vraiment.  Se taper une tache comme toi.  Voir ta gueule tous les matins.  Weekend et vacances compris.  Nous ça va, on a des périodes de repos, mais elle… t’as déjà pensé à ça, ta pauvre mère, à ce que tu lui fais subir avec ta gueule tous les matins 

Hé, où tu vas comme ça, reste avec nous 

Camille – Il faudrait que ça sorte, mais rien ne vient 

Mila – C’est idiot 

Camille – Je sais mais rien ne vient.  Et là, ça me tombe dessus, juste comme ça, je me dis, ça ne sert à rien, je me dis, voilà, ça ne finira jamais, je me dis 

Mila – Pense à autre chose 

Camille – J’essaie mais rien ne vient, je me dis, tu es nulle Camille 

Mila – T’es pas nulle 

Camille – Trop nulle, ça doit être ça, tout ça tu l’as bien cherché, pas capable de –  

La bande – Reste un peu avec tes copines, tu vois bien que ça fait plaisir à ta mère 

On n’est pas pressées, on reste un peu 

Hé, les filles, faudrait penser à trouver une solution.  Pour soulager sa pauvre mère 

Ben oui  

Qu’est-ce qu’on pourrait faire de cette grosse tache ? 

Une opération !  Lui refaire le portrait 

N’importe quoi 

Ca se fait, vous avez jamais vu à la télé, l’émission où les grosses super moches se font relooker 

Ca s’appelle Secret beauty  ou un truc comme ça 

On les opère de partout, genre cinq ou six opérations chirurgicales.  On les isole, pendant des semaines, elles voient pas leur famille, on les envoie chez le dentiste, le nutritionniste, le dermatologue, le psychologue, on les coiffe, on les relooke on les maquille et puis, on invite la famille, on met de la musique, on leur fait descendre un grand escalier.  Et là généralement, la famille pleure parce que ces grosses taches sont devenues des femmes, pas toujours bombasses, mais des femmes quand même 

J’ai déjà vu, c’est super cette émission 

J’adore 

On pourrait faire ça 

A fond 

Ca te plairait, qu’on te fasse ça ?  Un petit relooking, chirurgie esthétique maison, un truc propre et net, ça pourrait être bien ça, non ?   

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