Camille, adolescente, perdue entre une mère aveugle à son calvaire et une institution scolaire indifférente, est poussée au suicide par le harcèlement haineux d’une bande de filles de son collège.
Deux dramaturgies correspondant à deux projets de création différents pour raconter avec force et sobriété la même tragédie, celle d’un être fragile rejeté par le groupe en raison de sa différence. Un cas de société qui, partant de faits réels, interroge avec intelligence notre responsabilité collective...
extrait :
VII. Livraison à domicile
La bande – Bonjour Madame
La mère – Vous êtes des amies de Camille ? Je suis contente de vous rencontrer, Camille ne me raconte rien, c’est bien je suis contente, de voir que Camille a des amies, vous voulez entrer ? Camille, ne laisse pas tes amies devant la porte
La bande – C’est gentil Madame, mais on préfère discuter ici, on est enfermées toute la journée, on préfère prendre l’air
Camille – Elle dit ça comme ça, cette salope
Mila – Et ta mère qui sourit et qui dit
La mère – Pas de problème, comme vous voulez, je vous laisse, si vous changez d’avis, n’hésitez pas, entrez
La bande – Au revoir Madame
La mère – A bientôt ?
La bande – Elle est sympa ta mère
Ouais, vachement sympa
Classe, bien habillée
C’est vraiment ta mère, ou t’as été adoptée ?
On l’a échangée à la maternité
Ca doit être ça
Rigolez pas les filles, ça arrive ces trucs là, je l’ai vu à la télé
Camille – Et elles rient, toutes, de celle qui a dit ça, et j’espère à ce moment là, j’espère, j’espère juste – que quelqu’un d’autre devienne la cible, juste – pour quelques minutes, juste comme ça, respirer, une fois, deux fois, avant que ça recommence
Mila – Rêver ça suffit pas
La bande – Ouais. Elle est sympa cette dame
Trop sympa
La pauvre
Elle est à plaindre
Pas de chance, vraiment. Se taper une tache comme toi. Voir ta gueule tous les matins. Weekend et vacances compris. Nous ça va, on a des périodes de repos, mais elle… t’as déjà pensé à ça, ta pauvre mère, à ce que tu lui fais subir avec ta gueule tous les matins
Hé, où tu vas comme ça, reste avec nous
Camille – Il faudrait que ça sorte, mais rien ne vient
Mila – C’est idiot
Camille – Je sais mais rien ne vient. Et là, ça me tombe dessus, juste comme ça, je me dis, ça ne sert à rien, je me dis, voilà, ça ne finira jamais, je me dis
Mila – Pense à autre chose
Camille – J’essaie mais rien ne vient, je me dis, tu es nulle Camille
Mila – T’es pas nulle
Camille – Trop nulle, ça doit être ça, tout ça tu l’as bien cherché, pas capable de –
La bande – Reste un peu avec tes copines, tu vois bien que ça fait plaisir à ta mère
On n’est pas pressées, on reste un peu
Hé, les filles, faudrait penser à trouver une solution. Pour soulager sa pauvre mère
Ben oui
Qu’est-ce qu’on pourrait faire de cette grosse tache ?
Une opération ! Lui refaire le portrait
N’importe quoi
Ca se fait, vous avez jamais vu à la télé, l’émission où les grosses super moches se font relooker
Ca s’appelle Secret beauty ou un truc comme ça
On les opère de partout, genre cinq ou six opérations chirurgicales. On les isole, pendant des semaines, elles voient pas leur famille, on les envoie chez le dentiste, le nutritionniste, le dermatologue, le psychologue, on les coiffe, on les relooke on les maquille et puis, on invite la famille, on met de la musique, on leur fait descendre un grand escalier. Et là généralement, la famille pleure parce que ces grosses taches sont devenues des femmes, pas toujours bombasses, mais des femmes quand même
J’ai déjà vu, c’est super cette émission
J’adore
On pourrait faire ça
A fond
Ca te plairait, qu’on te fasse ça ? Un petit relooking, chirurgie esthétique maison, un truc propre et net, ça pourrait être bien ça, non ?