... Poings comme les quatre points cardinaux : Sud, Est, Ouest et Nord... quatre lignes de fuite pour échapper à l’emprise amoureuse quand elle se fait violence et possession. Que signifie rompre ? Rompre avec soi-même et avec le monde ? Comment rendre compte de cette expérience ?
Une écriture précise et incisive pour raconter la force implacable du refus et reconquérir le sens de ce que l’on a vécu quand le réel s’est fait outrage...
extrait :
–SUD
En voiture, sur l’autoroute. Elle le regarde conduire. C’est l’été. Il fume. Les cendres de sa cigarette volent par la vitre ouverte de la voiture. À la radio, une musique dancefloor. Il hoche la tête en rythme, chante par intermittence, quand il connait les paroles. Il est beau. Ses mains sont calmes. De temps en temps, il lui jette un regard complice. Ça la fait sourire. Elle le regarde. La fumée de sa cigarette rebondit sur le volant. Elle stagne un moment dans l’air avant d’être aspirée par la fenêtre.
LUI. Cette année, on va plonger.
TOI. Plonger ?
LUI. Manu a eu un nouvel équipement. On s’est dit qu’on irait titiller un peu le fond du lac.
TOI. Y a des choses à voir tu penses ?
LUI. Peut-être. Personne n’est jamais allé voir.
TOI. Y a peut-être une raison si personne n’est jamais allé voir.
LUI. On s’en fout. On va prendre le bateau, pique-niquer sur une plage sauvage, et puis plonger un peu dans les coins profonds. On pourra peut-être pêcher quelque chose, qui sait ?
TOI. Tout est possible.
Elle sourit. Il jette sa cigarette par la fenêtre, baisse le son de la radio.
TOI. J’adore cette maison. Je suis trop contente d’y retourner.
LUI. Et oui.
TOI. Je comprends que tu ne veuilles pas aller ailleurs.
LUI. Ça, le lac, c’est magique. Y a tout. Les copains, le barbecue… On sait qu’on est en vacances quand la seule question qu’on se pose c’est « qu’est-ce qu’on mange ? ».
TOI. C’est exactement le programme.
LUI. Le reste du temps, tu fais ce que tu veux, et de préférence rien.
Elle sourit.
TOI. On trouve des équipements sur place ?
LUI. C’est-à-dire ?
TOI. Pour plonger. Il me faut un équipement.
LUI. Ah oui. Sans équipement, tu vas geler.
TOI. T’en as un toi ?
LUI. Je crois pas qu’il en reste pour femme à la maison. C’est con, j’y ai pas pensé.
TOI. Je peux pas en trouver sur place ?
LUI. Je suis pas sûr. La plongée en lac, ça existe pas vraiment. En même temps, c’est pas dit que ça t’aurait plu.
TOI. Tu rigoles ou quoi ? Prendre le bateau et aller sur des plages sauvages, c’est moi qui t’en ai parlé l’année dernière.
LUI. Si c’est que ça, tu pourras venir quand même.
TOI. Je vais pas vous regarder plonger.
LUI. T’es une crevette. Dans l’eau, on t’aurait perdue.
TOI. Ha ha.
Il la regarde.
LUI. De toute façon, tu fais pas de sport.
MOI. Moi ?
TOI. N’importe quoi.
LUI. Le roller, c’est pas un sport.
TOI. T’as jamais essayé.
LUI. Non, parce que c’est naze.
TOI. Comment tu peux savoir ? Je t’ai offert une paire, y a encore l’étiquette dessus.
LUI. Oui. Parce que c’est un truc de naze.
TOI. C’est toi le naze.
LUI. Ho. Te vexe pas.
MOI. Quoi je me vexe ? T’ouvre ta gueule comme d’habitude t’as même pas essayé.
TOI. Je me vexe pas.
MOI. Tu parles sans savoir encore et tu crois que tu sais tout.
LUI. Je vais pas te mentir. Je vais pas te dire que j’aime ça si je n’aime pas ça.
TOI. Je sais.
MOI. Tu sais pas tout.
LUI. Et j’ai le droit de pas aimer ce que tu fais.
MOI. Tu sais rien.
TOI. Je sais, merci.
LUI. On peut ne pas aimer les mêmes choses, c’est pas grave.
MOI. C’est pas grave.
TOI. Non, c’est pas grave.
LUI. T’as même le droit d’aimer le roller, si tu veux…
TOI. Ta gueule.
Il rit. Ça la fait sourire.
LUI. Ça te dérange pas ?
TOI. Non.
LUI. Tu seras bien, tu auras la maison pour toi toute seule.
MOI. Quoi ?
TOI. Quoi ? Je pourrais même pas venir avec vous ?
LUI. Si tu veux, mais bon, tu risques de te faire chier. Je ne veux pas que tu t’ennuies.
TOI. Non je ne m’ennuierai pas.
LUI. Si tu es là et que tu te fais chier je ne serai pas à l’aise et du coup j’en profiterai pas non plus, tu vois ?
MOI. Quoi ?
TOI. Hum…
MOI. Et là, ça va ? T’en profites ? Tranquille ?
LUI. On n’est pas obligés de décider maintenant. Tu as pris ton ordinateur ?
TOI. Oui.
LUI. Tu seras bien à la maison. Tranquille.
Ils se taisent un moment. Il la regarde.
LUI. T’es belle.
Elle sourit.
LUI. Crevette.
MOI. Ta gueule.
TOI. Ta gueule.
Il rit.
LUI. Je t’aime.
Elle ne dit rien.
LUI. Je t’aime.
TOI. Moi aussi, je t’aime.
LUI. Saloperie.
MOI. Ta gueule.
TOI. Ta gueule.
Il rit.
LUI. Tu me passes un bonbon ?
Elle obéit. Il mâche. Il chantonne.
LUI. Tu boudes ?
MOI. Non.
TOI. Non.
LUI. Ho… Tu boudes ?
MOI. Non.
LUI. Tu boudes.
MOI. Ta gueule.
Elle soupire.
LUI. Pourquoi tu souffles ?
TOI. Je souffle pas.
LUI. Si c’est pour que tu fasses la gueule, je dirai à Manu que je ne peux pas aller avec lui, c’est tout.
TOI. J’ai rien dit.
MOI. Je boude pas.
LUI. On n’est pas obligés d’être tout le temps collés non plus.
MOI. J’ai pas douze ans.
TOI. Je sais.
LUI. Tu fais la gueule et après faut que je devine. T’es chiante.
Elle soupire.
MOI. Espèce de merde.
(...)