Louise, jeune chercheuse, obtient une bourse pour numériser un fichier de l’UGIF (Union Générale des Israélites de France) établi pendant la Seconde Guerre Mondiale. Elle y remarque une mention récurrente faite au syndic Jouveau. Sa rencontre avec le gérant, fils du responsable de l’époque, l’amènent à découvrir l’amour mais aussi de lourds secrets bouleversant la vie de son nouveau compagnon...
Une fiction convaincante, tissée d’humour et de gravité, autour de la spoliation des biens des Juifs déportés : une histoire de crime ordinaire et d’identité volée.
extrait :
Scène 3
(Louise est toujours dans sa posture de travail, assise à l’ordinateur. Elle lit une fiche. Le conservateur toque à la porte et entre).
Le conservateur – Je venais voir si tout allait bien.
Louise (cherchant à l’expédier) – Oui, tout va bien ! Parfait ! Merci beaucoup !
Le conservateur – Vous savez qu’il ne faut pas lire vraiment les fiches. Il faut juste les classer.
Louise – J’ai envie de dire “Mais je m’en fous de classer ! C’est un truc de dingue d’avoir ces papiers entre les mains ! C’est ça la recherche putain !” L’autre soupire. Moi aussi.
Le conservateur - Vous faites du sentimentalisme Mademoiselle.
Louise – Du sentimentalisme ? J’aurais bien répondu “Je vois pas le rapport !”
Le conservateur – Ben quoi alors ? Vous êtes émue parce que vous vous impliquez dans ce que vous lisez. D’autant que tous ces gens sont probablement morts, je lui dis avec un peu de mépris c’est vrai.
Louise – Ben c’est normal d’être émue.
Le conservateur – Oui ben c’est ce que je dis.
Louise – Je dois bien lire un peu ne serait-ce que pour classer.
Le conservateur – Attention...
Louise – Je n’ai pas écouté.
Le conservateur – Vous allez perdre du temps sur la mission. La bourse va être perdue.
Louise – Ne vous inquiétez. Je lirai sur mon temps à moi. Pas sur celui de la bourse.
Le conservateur - Mais vous faites ce que vous voulez sur votre temps libre Mademoiselle !
(Le conservateur sort)
Louise – Et puis je me dis : Lire sur ton temps à toi ! Mais quel temps ? Et puis tu vas lire, et après tu vas chercher. Et tu vas chercher quand ? à partir de 18h quand tous les centres de recherche sont fermés ? Et surtout : chercher quoi ? Tu vas prendre leur nom à tous ? Un par un ? Et tous les chercher ? Je me dis aussi : c’est n’importe quoi. Et encore : N’importe quoi ! Je pense en même temps que pourquoi pas. Même si c’est long. Même si ça prend du temps. Je repense à ce que m’a dit l’autre : “rechercher c’est ranger une énorme masse informe”.
Le conservateur (sur scène, qui commente) – J’aurais peut-être mieux fait de me taire...
Louise – ... ou un truc comme ça. Mais alors je pense qu’il faut accepter qu’il y ait une masse donc. Fût-elle grosse. Et lui donner forme. Oui. Fut-elle grosse. Alors je me dis que dans les fiches, il y a des gens. Oui. Justement. Il y en a plein. Je me dis qu’il y a un contenu dans les fiches. Les noms, c’est des gens. Je me dis : Faire de la recherche sur ces fiches, c’est faire de la recherche sur des gens. On peut chercher. Chercher. Et encore chercher. Je me dis que précisément ça, c’est être chercheur. Même si c’est un puits sans fond. J’ai envie de dire : Classer ? Mes fesses oui ! Et puis je le dis. Classer ? Mes fesses oui !
Le conservateur (sur scène, qui commente) – Et voilà. Misère !
Louise – Cette histoire de syndic, c’est... C’est la folie ce truc ! Si ça se trouve il existe encore, je me dis... et y a ce dossier de dingue ici... C’est la folie... Il faudrait les retrouver. Lire leurs archives à eux. Je me mets à faire les cent pas assez rapidement. Je me dis que ça ne coûte pas grand-chose de chercher un peu. Ça, c’est déjà une piste de quelque chose. S’il y a un nom qui revient, c’est un sujet de recherche. C’est une piste. Un bout de piste. Tout petit. Je me remets à marcher. En même temps, tu vas les contacter et tu vas leur dire quoi ? Je me dis qu’on s’en fout. Que je verrai bien. Je me remets à faire les cent pas, plus rapidement. Et puis je m’arrête. Je prends le téléphone.
Le conservateur – Elle téléphone maintenant ! Qui a mis un téléphone dans son bureau ?
Louise – Je compose le numéro des renseignements en me disant que sûrement Le syndic Jouveau n’existe plus. Ou alors qu’il n’est pas à Paris, que je ne trouverai pas le numéro. Bref, que ça ne sert à rien. Tant pis. Tant pis. Tenter. Je compose le numéro. Quand même. Le cadran tourne et il faut attendre qu’il revienne au point de départ pour faire le suivant. Je pense que je ne trouverai pas. On me répond. Je demande les coordonnées du syndic Jouveau en me disant que ça ne sert à rien. J’ai le nom mais je n’ai pas d’adresse. J’attends un peu en me demandant où ça peut bien me mener tout ça. Non, je ne me le demande pas. Parce que si je me le demande, j’arrêterai. Je n’ai aucune raison d’appeler ni de m’intéresser à ce syndic. Non aucune. Juste de la curiosité.
Le conservateur – Du sentimentalisme, je rectifie.
Louise – Bref, on finit par me répondre. On me donne l’adresse du syndic Jouveau. Il existe donc toujours. Il est à Paris. On me donne le numéro de téléphone. Mais je ne vais pas appeler. Je vais y aller directement, de toute façon, ce n’est pas loin.