Barkev, jeune éducateur spécialisé, se fait embarquer suite à un contrôle au faciès pour détention de cannabis. Pour son malheur, il sera transféré au commissariat du 19e arrondissement, proche de la colline du crack. Une garde à vue de 40 heures dans une cellule à cinq en pleine pandémie de Covid.
Un témoignage brûlant d’après une histoire vraie sur les agissements peu conformes de certains commissariats et de certains policiers, et sur l’enfer du crack.
extrait
Barkev - Je vais te raconter un truc David. Si tu veux m’écouter, tu peux, sinon c’est pas grave. Avec mes parents, mes frères et ma soeur, on a quitté l’Arménie quand j’avais 10 ans. On a débarqué au Val-Fourré à Mantes. Une cité hardcore frère. J’ai tout connu là-bas dans mon adolescence. Les bastons, les problèmes avec la justice, la déscolarisation, guetteur, dealer, braqueur, escroc... j’ai tout fait j’te dis. J’ai même coupé les liens avec mes parents. Quand j’ai eu 19 ans, j’ai intégré un mouvement islamiste dans mon quartier. Au début c’était une belle vie. J’avais l’impression de servir une grande cause. Mais ça a vite déraillé. Des règlements de comptes, des rackets, des tabassages en règle, etc. On était devenu une milice. (...) Sauf que nous, pas de Rolex au poignet ou de lunettes de soleil sur le blaze. On était en kamis du matin au soir. La tenue traditionnelle qui ressemble à une robe. Tu vois ce que c’est ?
David - Bien sûr. Y’a plein de musulmans dans mon quartier wesh ! T’as cru que je débarquais ?
Barkev –Excuse, je savais pas si tu connaissais. Bref ! Je comprenais pas, tu vois ? (...) J’ai fini par être mis en examen pour association de malfaiteur terroriste. Sept mois de taule frère. Une fois sorti, je savais que j’en avais fini avec tout ça (...), j’ai taillé du mouvement. Ils m’ont retrouvé et j’ai fini dans le coma. (...)
David, intéressé - Pourquoi ils ont fait ça ?
Barkev - Parce que tu sors pas d’un mouvement salafiste comme tu sors d’un resto. (...)
David - Et après ?
Barkev - Une fois sorti du coma, on est partis avec la famille s’installer à Saint-Ouen dans le 93. Pour se protéger, tu vois ? (...) C’est là que j’ai décidé de m’engager pour les gens des quartiers. Et travailler pour aider la jeunesse. Je suis devenu éducateur spécialisé contre la délinquance et la radicalisation. Tu vois comment elle tourne la vie ? Il suffit des fois d’un déclic frérot.
David - Putain ! Tu parles grave bien.
Barkev - L’essentiel c’est que tu comprennes que tu peux pas passer ta vie sur le téco mon reuf. Comme si cette société n’était pas la tienne. Comme si tu n’en faisais pas partie. C’est chez toi ici. T’as la nationalité française ?
David - Ouais.
Barkev - Alors la France c’est ton pays frère !
David - Pffff ! C’est pas mon pays. Tu vois comment on est traité ici ? Je parle même pas que des keufs, mais même dans la vie. Moi j’ai tout le temps dealé, t’as vu ? Dès 13 piges. Heureusement je ne me suis jamais fait arrêter pour ça. Mais je me souviens qu’à un moment j’en avais marre de l’argent sale. J’ai fait un CV et tout à la mission locale. Et je suis parti chercher du taf. Les seuls trucs que j’ai trouvés, c’est des tafs de manutention dans le bâtiment où tu te niques le corps à force de porter des trucs lourds. J’ai essayé. Mais c’était pas fait pour moi. Les ordres et tout. En plus, je taffais dans un chantier ou y’avait tout le temps des embrouilles entre les communautés. Nous, les métisses et renois, on s’embrouillait avec les portugais. Les reubeux, eux, avec les polaks, etc. Et c’était tout le temps comme ça. Le pire, c’est que les patrons ils s’en battaient les couilles. Ça les amusait. Ils faisaient des paris et tout ! Wallah. On taffait comme des chiens pour le smic. Bref ! J’ai taillé au bout d’un moment et je suis retourné dans le business de rue. Dans le sale. Là au moins je connais bien et ça rapporte.
Barkev - Mais tu peux pas faire ça toute ta vie. Fais une formation dans un domaine qui te plaît par exemple.
David - Ah laisse tomber ! C’est pas pour nous tout ça.
(...)