Mille et une. Layla d’Anaïs de Clercq


Layla est vidéaste. Victime d'insomnies, et suivant pour s'en guérir une analyse, elle recueille pour le projet d'un documentaire les témoignages de personnes qui, comme elle, ne dorment pas. Les personnages se croisent. Les secrets se dévoilent. Les mots se fissurent. Le réel n'est-il qu'une fiction ?    

Un récit labyrinthique pour raconter les errances de nos consciences occidentales urbaines et émancipées. Un art consommé du dialogue et du jeu d’illusions qui entremêle le désir inconscient et la réalité.

 

Extrait

 

3.

Dîner.

Bruits de verre qu’on remplit et de conversations joyeuses.

Sacha et Sybille, Yves et Claire, quatre amis de longue date, dînent dans le bruit et l’agitation, heureux de se retrouver. La table est très bien mise. La nappe est très blanche. Un joli bouquet trône au centre de la table.

Sacha apporte une bouteille de vin. Sybille sert des entrées dans chaque assiette.

Sacha : On va commencer sans Paul.

Claire déplie sa serviette.

Claire : C’est qui Paul ?

Sybille : C’est un collègue de Sacha à Saint-Luc. Un type très sympa.

Sacha sert tout le monde en vin. Sybille tend une assiette à Claire.

Claire : Merci. J’ai travaillé avec un Paul toute la journée justement, un comédien super intéressant, pour ma fiction à l’hôpital.

Sacha : J’ai hâte de la voir cette fiction.

Claire : On a bientôt fini la première saison. J’espère que tu vas pas nous dire qu’on est complètement à côté de la plaque.

Sacha tend à Claire un verre de vin.

Sacha : Je peux déjà te dire que vous êtes complètement à côté de la plaque.

Claire : Mais pourquoi ?

Sybille : Arrête Sacha, tu vois bien que Claire a mis tout son coeur dans ce projet.

Sacha : Déjà parce qu’il y a toujours du faux sang à la télé.

Claire : Mais enfin ils vont pas prendre du vrai sang.

Sacha : Et pourquoi pas ? Moi je vois que ça, tout ce faux sang qui dégouline et qui dégouline mal en plus.

Yves : On devrait créer des cartes de donneurs de sang à porter sur soi si on meurt d’une mort violente. Il y aurait écrit Je donne mon sang à la télé. Moi je te donnerai mon sang Claire. Tu pourras en faire ce que tu veux.

Sybille : Moi aussi.

Sacha : Moi aussi.

Claire : En attendant, tu sais ce qu’on devrait faire ? On devrait passer une journée avec vous à Saint-Luc. Ça serait possible ? Juste pour se mettre un peu dans le bain. Saisir des détails, des attitudes.

Sacha : Pour ça il vaut mieux que tu demandes à Paul. Il est aux urgences. Je suis pas sûr que moi en psychiatrie je puisse beaucoup vous aider.

Sybille : Mais ça vous le faites pas déjà ? Vous n’avez pas des conseillers ?

Claire : Si pour l’écriture mais pas pour les comédiens. Mmh Sybille c’est délicieux.

Sybille : Merci.

Sacha : J’ai un patient en ce moment qui nous dit tout le temps Tout est télévision.

Yves se ressert un verre.

Claire : Yves, ne bois pas tout ce vin. N’oublie pas que tu conduis tout à l’heure.

Yves : Je n’oublie pas, et toi Claire n’oublie pas de passer ton permis.

Yves renverse son verre de vin rouge sur la nappe blanche. La tache s’étend.

Yves : Oh la la merde. Sybille j’ai honte.

Sybille : C’est très bien la honte, ça permet de changer.

Claire : Oh il n’a pas vraiment honte, tu sais. Il ne va pas changer.

Yves : Bien sûr que si je vais changer.

Sybille : Yves ne touche plus à rien, je vais chercher du sel.

Sacha pose sa main sur le bras de Sybille.

Sacha : Non laisse, j’y vais.

Sybille se rassoit. Sacha se lève et se dirige vers la cuisine.

Sacha : Vous vous rappelez Démocrite ? Regretter ses actes honteux c’est sauver sa vie.

Yves : Regardez, la table saigne.

Claire : Tout est télévision.

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