Camille Nauffray > Evaporation(s)

 Le père a disparu du jour au lendemain. L’oncle dit qu’il reviendra. La mère se mure dans le silence. La sœur semble s’y résoudre mais s’efface à force de solitude. Seul le frère cherchera à exprimer sa colère et à connaître la vérité. 

Partant du phénomène des « évaporés » et des disparitions volontaires au Japon, le récit épuré et sensible d’un monde de solitudes, enfermé dans ses carcans et la peur de l’indignité.

 

Extrait :

 

été

1.

A la fin du repas, T le fils et N la soeur du fils débarrassent la table. T coupe court au silence.

-­ Silencieux.

-­ Quoi ?

-­ Le métro.

- Hein ?

-­ J’avais jamais remarqué à quel point.

-­ Ah…

-­ Drôle cette sensation.

-­ Quoi ?

-­ Que j’ai ressentie.

-­ Ah…

-­ Comme si je le prenais pour la toute première fois.

-­ Mais non…

-­ Pas n’importe quel silence.

-­ Encore une de tes expériences…

-­ Quoi ?

-­ « existentielles »

-­ Une forte odeur aussi. Acre.

- Hein ?

- Ca puait !

-­ Ah bon ?

-­ Oui la soumission.

-­ C’est…

-­ Quoi ?

-­ Reparti…

-­ Oui ça puait la soumission.

-­ Hum…

-­ Oui la soumission à cette vie de travail qui n’a aucun sens.

-­ Hum…

-­ Tous des assoupis, une bande d’imbéciles !

-­ Reparti…

-­ Non, pas utiliser notre temps pour lire un bouquin, pourquoi faire ? Des fois qu’on aurait envie de contester l’ordre établi, qu’on fasse une révolution…

-­ Doucement.

-­ Quoi ?

-­ Surveille ton langage.

-­ Hein ?

-­ Papa et maman nous ont appris à nous exprimer autrement…

-­ Ah et ils sont où ?

-­ Qui ?

-­ Papa et maman. Jamais à la maison. Tu fais partie de la police des bonnes mœurs maintenant ?

-­ Arrête de regarder tes séries américaines à longueur de journée.

-­ Si besoin de ton avis, je t’en ferais part.

-­ Bon…

-­ Alors j’étais là, dans ce wagon bourré de types qui ne toussent pas, qui ne raclent pas leur gorge, qui ne soupirent pas. Des gens qui ne se grattent pas de quelque chose qui nous gêne. Et puis on a entendu des cris courts et stridents.

-­ Ah ?!

-­ Bien-­sûr, personne ne s’est détourné.

- Ah ?!

-­ Personne de s’est détourné bien-­sûr. Sauf moi.

-­  Ah ?!

-­  Et là j’ai vu un type portant un masque qui était en train de s’agiter devant la vitre teintée. C’est son reflet qui semblait le perturber.

-­ Ah ?!

-­ Effrayé et en même temps pris par des secousses. Des rires. Il se décalait d’un pas sur le côté et là il criait à nouveau. Oui parce que le reflet ne le quittait pas des yeux. Et ainsi de suite.

- Ah ?!

-­ Et tu sais ce que je me suis dit ? De ce type hors du commun qui ressort comme une tâche de sang sur un vêtement et qu’on arrive pas à laver ?

-­ Un handicapé ?

-­ Que ce mec c’était moi.

-­ Quoi ?

-­ Que ce mec c’était moi.

-­ Je ne comprends pas.

-­ Laisse tomber.


2.

Dans un Starbucks N (la soeur du fils) et une amie boivent un café près du marché d’Amayeko. L’amie questionne N.

-­ Ton frère il va bien ?

-­ Oui je crois.

-­ Il se plait à l’université ?

-­ Oui je crois.

-­ Il s’est fait de nouveaux amis ?

-­ Oui je pense.

-­ Et tes parents, ils vont bien ?

-­ Oui je crois.

-­ Et ton père, les affaires, elles marchent ?

-­ Oui je crois.

(…)

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