Emma a presque 40 ans. Face aux urgences écologiques, ne pas agir lui devient insupportable. Une action vient d'être menée contre l’épicerie du village qui vend de la viande industrielle. Elle décide de rejoindre le groupe et s'engage dans la lutte contre la maltraitance animale.
Une écriture fine et précise jouant sur plusieurs registres de narration pour plonger dans le paysage mental d'une génération au pied du mur. Un beau personnage de femme porteur de nos doutes et de nos engagements.
Extrait
(...)
Nico – Bon. On pourrait pas faire une pause là ?
Mini temps.
Emma – Pardon ?
Nico – On pourrait se lâcher la grappe cinq minutes ?
Emma – Se lâcher la grappe ?
Nico – Quoi qu’est-ce que j’ai dit ?
Emma – Faire une pause ?
Nico – Faire une pause oui.
Emma – Moi je n’ai pas envie de faire une pause. Je n’ai pas envie de me tenir en éveil à coup de Chocopops en intra veineuse.
Un temps.
Manifestement, Nico essaye de prendre sur lui, pour calmer le jeu.
Nico – Je ne peux pas prendre mon petit dej tranquille ?
Emma – C’est pas le moment de parler c’est ça ?
Nico – Non.
Emma – Pourquoi c’est pas le moment – c’est jamais le moment ?
Nico – D’accord. Donc ce que tu es en train de me dire c’est que toi maintenant tu cautionnes les actions barbares d’une bande de chômeurs qui n’a rien d’autre à faire que casser les vitrines des gens qui ont rien demandé et qui essaient juste de bosser.
Emma – Je ne sais pas. Ça. Ça me fait réfléchir en tout cas.
Nico – Quoi ?
Emma – Ce qui arrive sous notre nez c’est l’occasion – je dis c’est l’occasion de réfléchir –
Nico – Je me réveille, je suis levé depuis genre trois minutes et tu me tombes dessus
et tu veux réfléchir ?
Emma – Tu es levé depuis trois minutes ?
Nico – Oui.
Emma – C’est marrant parce que moi je suis levée depuis – attends voir – ah ouais,
deux heures, c’est ça.
Nico – Putain Emma c’est mon jour off.
Emma – Cochon.
Il souffle. Sort une pièce de monnaie de son porte-monnaie et la fourre dans le cochon-tirelire.
Nico – On est obligés de se prendre la tête le matin à cause de ces connards ?
Emma – Cochon c’est un club de chômeurs ?
Nico – C’est pas un club de chômeurs ?
Emma – Non.
Nico – Et l’épicerie ?
Emma – Quoi ?
Nico – C’est grâce à l’épicerie qu’on a du pain. Un relais postal.
Emma – Et que tu peux manger tes Choco pops tranquille ?
Nico – C’est dégueu de faire ça –
Emma – Cochon.
Nico – Quoi ? Juste parce qu’ils vendent de la viande ?
Emma – Des poulets de batterie nourris OGM. C’est de la viande ça ? Des œufs de poules sans becs, bourrées d’antibio. C’est ça qu’on bouffe. Alors qu’on est à la campagne Nico. Qu’on est entourés de fermes. De gens qui se battent. Et qui crèvent parce qu’on bouffe OGM pour économiser trois sous. Ça ne te fait pas réfléchir.
Nico – ok – on est en train de se disputer à cause de trois péquenauds qui en plus de foutre la merde dans le / village –
Emma – Cochon
Nico – viennent foutre leur merde chez / moi.
Emma – Cochon tu comprends rien !
Nico – Putain.
Emma – Cochon.
Un temps.
Il tente de s’approcher d’elle. De calmer le jeu.
Nico – Emma. Arrête s’il te plaît. Ne va pas là-dedans ne t’engouffre pas ne fonce pas là-dedans.
Elle se dégage.
Emma – Je fonce parce que j’ai envie de foncer. Je fonce parce que ça me parle parce que ça vient me parler.
Nico – Je ne comprends pas.
Emma – Moi je leur dis merci.
Nico – Qu’est-ce qui te parle ?
Emma – Merci. Parce que pour une fois on a une vraie discussion tous les deux.
Nico – Ah bon ?
Emma – Pas juste que c’est à ton tour de changer la couche de la petite ou qu’est-ce qu’on regarde comme film ce soir.
Nico – Laisse Cléo en dehors de ça.
Emma – Une vraie discussion. Profonde, pour une fois.
Nico – Tes nouvelles passions. Ça n’aurait pas de rapport avec ta nouvelle copine aussi ?
Emma – De quoi tu / parles ?
Nico – Gigi.
Emma – Quoi Gigi ?
Nico – C’est pas Gigi qu’elle s’appelle ?
Emma – Qu’est-ce qu’elle a, Gigi ?
Nico – Je sais pas. C’est à toi de me dire ?
Un temps.
Nico – Emma, y a un truc qui change là, qui a changé, y a un truc qui tourne pas
rond.
(...)