Un couple de quadragénaires parisiens vient d’acheter, pour y vivre, une maison dans la région. Ils commencent à recevoir, glissées sous la porte, des lettres de menace. Quelqu’un semble hostile à leur installation. Qui cela peut-il bien être ? Kévin, l'homme du coin qui leur fait les travaux, sait-il quelque chose à ce sujet ? Pourra-t-il les aider ?
Une fable grinçante, aux allures de thriller, traitant du phénomène de « colonisation » de certaines provinces par une classe urbaine privilégiée au détriment des populations locales.
Extrait :
7.
4h du matin. La pièce est dans l’ombre. Une petite lumière s’allume. Apparait Léa, en chemise de nuit. Kévin est debout dans le coin cuisine, une tasse de café à la main. Voyant Léa, Kévin pose sa tasse.
Kévin : Votre mari m’a autorisé à me faire un café. (Un temps) Je voulais commencer tôt. Je me suis dit que je prendrais mon café ici. (Un temps) Pardon, je vais vous laisser l’espace.
Léa : Non, restez. Buvez votre café tranquillement. Je n’ai rien de spécial à faire.
Je veux dire, j’ai plein de choses à faire, mais là il est trop tôt. Et je n’arriverai pas à me rendormir.
Kévin reprend sa tasse.
Silence.
Léa : Je vais en prendre un aussi.
Kévin se pousse. Elle vient près de lui et se sert une tasse.
Ils boivent leur café. Silence.
Kévin : Vous vous plaisez ici ?
Elle acquiesce.
Silence.
Léa : C’est une très belle ville. (Un temps) Tout le coin, d’ailleurs. Il y a des promenades magnifiques. Il y a un coin, à une dizaine de kilomètres, avec un bras de mer…
Kévin la coupant : Oui.
Un temps.
Léa : C’est bête, je vous dis ça, vous connaissez mieux que moi.
Kévin : Vous avez fait la randonnée ? Le long du bras de mer.
Léa : Sublime.
Silence.
Kévin : Si on regarde du côté du bras de mer, la vue est sublime en effet. Les petites criques. Les vasières. La mer qui va et vient, puissante et sinueuse. Mais si on tourne la tête, on voit une forêt de pavillons. Des murs blancs. Des toits bleus. Ils sont fabriqués par la même boîte. Les mêmes murs, les mêmes toits. Une construction en kit.
Léa : Ils sont particulièrement moches, en effet. Je ne sais plus qui disait qu’il était contre la peine de mort sauf pour les pavillonneurs.
Kévin rit.
Kévin : Il y a du vrai, et pas qu’un peu. Je ne connaissais pas cette phrase, je vais la retenir merci. La peine de mort pour les pavillonneurs. Très amusant. Caustique.
Mais qu’est-ce que je voulais dire… Oui. Ce sont des résidences secondaires.
Personne n’habiterait là-dedans à l’année. Mais elles restent à l’année, vous comprenez ? Si vous refaites cette balade, côté nord, en vous concentrant bien, vous verrez qu’au milieu des pavillons, il y a une vieille maison de pêcheur.
Léa : Ah ?
Kévin : Elle appartenait à ma grand-mère. Et à mon grand-père. Il était marin- pêcheur. Il partait seul avec sa barque et il rapportait le poisson, qu’il vendait aux conserveries. Je me souviens, quand j’étais gosse, jusqu’à, allez, jusqu’au milieu des années 90, leur maison était la seule sur la lande. Vous vous rendez compte ?
La seule. Je vois encore la lande… La mer… Et grand-mère et grand-père, seuls dans l’immensité... (Silence) Mon grand-père est mort… Il n’a pas eu à voir ça, mais nous oui. Des pavillons se sont construits à grande vitesse autour de la maison. Quelques années plus tard, ce n’était plus la lande qui entourait la maison, mais un quartier pavillonnaire, particulièrement laid. Et ce n’est pas la fin de l’histoire. Parce que ma grand-mère, seule avec sa pension… Pas évident de survivre avec la hausse des prix, tout ça… Elle a aménagé sa maison pour faire chambres d’hôtes. Elle a accueilli des vacanciers. Pendant 20 ans. Elle nettoyait les chambres. Dressait les lits. Servait les petits déjeuners. Passé 80 ans. (Silence)
Elle avait un chien. Un chien adorable, je vous jure, toujours à vous faire la fête.
Eh bien, les gens qui venaient en chambre d’hôte, il leur aboyait dessus comme c’est pas permis. Avec tout le monde, un chien en or. Mais avec ceux des chambres d’hôtes… Et tous sans exception, hein ? Ma grand-mère faisait des sourires, elle savait se contrôler. Mais son chien… Il n’a jamais pu les voir.
Léa : Qu’est-ce que vous essayez de me dire ?
Kévin : Rien. Juste une histoire de ma mamie.
(…)