La guerre de nos pères de Caroline Corme

Leïla et Bogdan s’aiment depuis toujours, ils vont se marier. Mais à la frontière, la guerre est de retour, celle que les ainés ont tenté d’oublier. Bogdan se doit d’y aller. Pour la mémoire de son père et l’honneur de sa communauté. Les femmes, elles, resteront à l’arrière, en compagnie du vieux Vlada, l’homme qui parle aux oiseaux…

Un texte sombre et puissant à l’écriture délicate et incarnée pour raconter la violence de la guerre dans ce qu’elle a de plus absurde.


Extrait :


Salon de DOUCHENKHA. Une fenêtre au fond, une table, des chaises, un buffet sur lequel trône la télévision.

L'HOMME-OISEAU sifflote doucement en lisant un journal tandis qu'elle reprise de vieux vêtements. On entend le tic-tac d'une vieille horloge.

L'HOMME-OISEAU. Verseau : Un amour nouveau et inconnu va entrer dans votre vie, soyez attentifs. Santé : prenez l'air.

DOUCHENKHA. (Riant) Vrai Vlada, je vais t'accompagner pour siffler dans la montagne moi, j'y trouverai peut-être un homme.

L'HOMME-OISEAU. Qui sait...

DOUCHENKHA. C'est calme aujourd'hui.

L'HOMME-OISEAU. J'aime pas ça. (Repliant le journal) Y a que l'horoscope qui est vrai dans ce torchon.

DOUCHENKHA. Alors pourquoi tu le lis ?

L'HOMME-OISEAU. Ah ça...
Ils ont pas appelé ton fils encore ? Ça va pas tarder. Les corbeaux sont arrivés tôt cette année. C'est pas bon...

DOUCHENKHA. Laisse mon fils tranquille. Il en a rien à faire lui de tout ça.

L'HOMME-OISEAU. Si jamais ça tourne mal il peut monter à la cabane. Personne n'ira le chercher là-bas.

DOUCHENKHA. Laisse-le je te dis. C'est pas la première fois qu'il y a du grabuge à la frontière.

L'HOMME-OISEAU. Non.
Mais les corbeaux sont déjà là.
Et ça, ça veut dire que quelque chose se prépare.
Quelque chose de pas bon.
Hier ils sont revenus dans le jardin de la vieille. Ça fait plus d'un an maintenant qu'elle est plus là, pourtant y en avait bien une dizaine. Comme des vautours ils attendaient.
Normalement les corbeaux ils reviennent pendant quelques semaines et après il partent, mais là...

DOUCHENKHA. Ça va j'ai compris.

Un temps.

T'en avais pas un qui faisait des dessins dans le marc de café ?

L'HOMME-OISEAU. Claqué.

DOUCHENKHA. Merde.

L'HOMME-OISEAU. Oui

DOUCHENKHA. Et le nouveau, le japonais?

L'HOMME-OISEAU. Il connaît pas encore la folie des hommes celui-là. Je lui ai aménagé une nouvelle cage qui s'attache là comme un sac à dos, comme ça je peux l'emmener partout. Je lui fais voir du pays.

DOUCHENKHA. Et ben tu vois faut laisser la place aux jeunes. La guerre est fnie depuis 20 ans.
Et puis il y a toujours eu des problèmes là-bas, c'est comme un sport national.

L'HOMME-OISEAU. La guerre est jamais finie. Elle fait de la place aux jeunes comme tu dis Douchenkha. Elle les laisse juste grandir ce qu'il faut pour tenir un fusil et haïr leurs frères.

DOUCHENKHA. Vlada, toi tu t'en es sorti, tu es là, bien vivant.

On entend le bruit de la porte. Entre Bogdan en costume bleu sombre et Leila qui porte une robe multicolore.

Voilà les petits. Allez tais-toi, oiseau de malheur, va pas leur gâcher la journée avec tes histoires.

Bogdan et Leila embrassent Douchenkha et L’homme-oiseau.

L'HOMME-OISEAU. (Sifflant) Bah dis voir. Tu t'en vas enterrer qui comme ça toi gamin ?

BOGDAN. Ça vous plaît ?

DOUCHENKHA. Tu es magnifique mon garçon.

L'HOMME OISEAU. (À Leïla) Et toi belle enfant, un Diamant de Gould !

LEILA. Merci.

BOGDAN. Ce soir je fais ma demande.

L'HOMME OISEAU. (À Douchenkha) J'en connais une qui n'a pas fini de pleurer. (À Bogdan et Leïla) Faites-lui vite un petit-fils pour la consoler.

BOGDAN. (Embrasse sa mère) Ou une fille.

DOUCHENKHA. Mes enfants... (À Leila, lui prenant les mains) Ma fille, je suis heureuse tu sais, même si je pleure un peu.

LEILA. Je sais baba.

BOGDAN. Souhaitez-moi bonne chance.

(…)


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