François Dumont : «  Barnabé à la limite » 

Afin d'éviter le licenciement, "Lui" se porte volontaire pour travailler sur la Frontière. Du haut de son mirador, armé, il veille. Malheureusement, il se fait assommer par un immigré clandestin appelant à l’aide car blessé par les barbelés. L’homme en profite pour rentrer sur le territoire et se présente chez "Lui" en déclarant être son frère. Veut-il prendre sa place et s’approprier son identité ?… 

Une pièce qui explore les complexités du rapport à l’autre, en évitant les écueils du manichéisme et les facilités du politiquement correct ; une écriture économe et décalée, jouant sur les non dits et l’incongruité.

 extrait :

LUI

Je veux juste apprendre et faire le boulot.

GARDE

C’est quoi ton nom. Attends ne dis rien. Barnabé. Je vais t’appeler Barnabé. Ça te va. Tu connais Barnabé qui prend le train. C’est le mec tu vois assez sérieux mais quand même bien détendu. Et Barnabé qui fait le marché tu t’en rappelles , le genre avec le nez en l’air qui suit. Ces autres toi-même tu peux te les représenter à distance. Je veux dire quand t’es bien confort dans ta petite bulle de tête, pas bousculé par le monde. Mais celui là dont je t’ai parlé, celui qu’est pas un autre, faut se mouiller pour le saisir. Je peux pas le prévoir rien qu’en t’écoutant. Quand ils vont t’arriver dessus. Là oui on verra comment tu t’y prends.

Un temps. La forme bouge au sol. Un des gardes prête attention au bruit.

LUI

psst.

Silence.

Pssst.

Silence.

Monsieur.

GARDE

Faut t’le dire combien d’fois.

LUI

Le truc de tout à l’heure. Ça recommence.

GARDE

Montre.

LUI

Là, juste en dessous.

GARDE

J’peux voir quoi dans c’noir.

LUI

Y a rien à voir. C’est à entendre.

Silence.

GARDE

Y a pas grand chose non plus pour les oreilles.

LUI

Ça dépend du propriétaire.

GARDE

T’as raison. Avec ton bavardage ils doivent les avoir pleines.

Il ricane.

LUI

Ils sont tout près. C’est sûr.

Temps.

Je fais quoi.

GARDE

Prépare tes coups.

LUI

On nous a dit qu’il fallait pas.

GARDE

Le capitaine le dit toujours aux recrues.

C’est le premier à cogner.

Comme je t’ai dit, tu peux pas deviner de quoi t’es fait.

LUI

Je suis pas violent mais je dois faire le boulot.

GARDE

Ma parole, t’as que ce mot à la bouche.

temps.

C’est quoi au juste.

LUI

Défendre nos frontières.

GARDE

Impossible.

La semaine passée, ils étaient un millier. Demain ils seront dix mille. Ils passeront un jour ou

l’autre. C’est juste une question de rythme.

LUI

Faut pas les laisser avancer.

GARDE

Facile à dire.

LUI

On sert bien à quelque chose.

GARDE

On constate.

LUI

C’est pas vraiment ce qu’on m’a dit à l’embauche.

GARDE

Tu verras par toi-même.

Quand ils arrivent d’un coup au pied du poste.

Tu verras l’escalade.

Les mains sur le fil barbelé tu verras comme ils grimpent.

Les uns sur les autres. Pas un cri.

Juste l’odeur. La chair déchirée.

temps.

Et toi t’es là , du sang plein les yeux . Tu comprends. Rien, personne ne pourra les arrêter.

LUI

A quoi bon surveiller si c’est vain.

GARDE

Faut aimer la ligne frontière pour comprendre .

LUI

On peut aimer un mirador ?

L’HOMME A LA VALISE

Monsieur.

Silence.

Monsieur.

LUI

Montrez-vous.

Silence.

Monsieur.

GARDE

Arrête, il va finir par croire qu’il entend son écho.

He l’homme t’es blessé.

L’HOMME A LA VALISE

C’est ma jambe. Elle est cassée.

GARDE

T’es où.

L’HOMME A LA VALISE

Je suis tombé dans le noir.

LUI

Il doit être dans la fosse.

L’HOMME A LA VALISE

Pitié.

GARDE

On te voit pas. Difficile de t’aider.

L’HOMME A LA VALISE

La porte, ouvre la.

LUI

Y a pas de porte.

L’HOMME A LA VALISE

Découpe dans le barbelé.

LUI

On peut pas le laisser.

GARDE

Attendons le petit jour on y verra plus clair.

LUI

Je descends.

Il descend.

GARDE

Je te conseille de pas jouer à ça avec moi.

Remonte immédiatement.

Il découpe le barbelé.

Je vais donner l’alerte.

Il se glisse dans la fosse.

He petit.

Il continue à progresser dans l’obscurité.

LUI

Vous êtes où ?

L’HOMME A LA VALISE

GARDE

Barnabé.

LUI

Où ?

Un homme surgit de l’ombre, l’assomme, s’engouffre dans la brèche et disparaît.

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