Afin d'éviter le licenciement, "Lui" se porte volontaire pour travailler sur la Frontière. Du haut de son mirador, armé, il veille. Malheureusement, il se fait assommer par un immigré clandestin appelant à l’aide car blessé par les barbelés. L’homme en profite pour rentrer sur le territoire et se présente chez "Lui" en déclarant être son frère. Veut-il prendre sa place et s’approprier son identité ?…
Une pièce qui explore les complexités du rapport à l’autre, en évitant les écueils du manichéisme et les facilités du politiquement correct ; une écriture économe et décalée, jouant sur les non dits et l’incongruité.
extrait :
LUI
Je veux juste apprendre et faire le boulot.
GARDE
C’est quoi ton nom. Attends ne dis rien. Barnabé. Je vais t’appeler Barnabé. Ça te va. Tu connais Barnabé qui prend le train. C’est le mec tu vois assez sérieux mais quand même bien détendu. Et Barnabé qui fait le marché tu t’en rappelles , le genre avec le nez en l’air qui suit. Ces autres toi-même tu peux te les représenter à distance. Je veux dire quand t’es bien confort dans ta petite bulle de tête, pas bousculé par le monde. Mais celui là dont je t’ai parlé, celui qu’est pas un autre, faut se mouiller pour le saisir. Je peux pas le prévoir rien qu’en t’écoutant. Quand ils vont t’arriver dessus. Là oui on verra comment tu t’y prends.
Un temps. La forme bouge au sol. Un des gardes prête attention au bruit.
LUI
psst.
Silence.
Pssst.
Silence.
Monsieur.
GARDE
Faut t’le dire combien d’fois.
LUI
Le truc de tout à l’heure. Ça recommence.
GARDE
Montre.
LUI
Là, juste en dessous.
GARDE
J’peux voir quoi dans c’noir.
LUI
Y a rien à voir. C’est à entendre.
Silence.
GARDE
Y a pas grand chose non plus pour les oreilles.
LUI
Ça dépend du propriétaire.
GARDE
T’as raison. Avec ton bavardage ils doivent les avoir pleines.
Il ricane.
LUI
Ils sont tout près. C’est sûr.
Temps.
Je fais quoi.
GARDE
Prépare tes coups.
LUI
On nous a dit qu’il fallait pas.
GARDE
Le capitaine le dit toujours aux recrues.
C’est le premier à cogner.
Comme je t’ai dit, tu peux pas deviner de quoi t’es fait.
LUI
Je suis pas violent mais je dois faire le boulot.
GARDE
Ma parole, t’as que ce mot à la bouche.
temps.
C’est quoi au juste.
LUI
Défendre nos frontières.
GARDE
Impossible.
La semaine passée, ils étaient un millier. Demain ils seront dix mille. Ils passeront un jour ou
l’autre. C’est juste une question de rythme.
LUI
Faut pas les laisser avancer.
GARDE
Facile à dire.
LUI
On sert bien à quelque chose.
GARDE
On constate.
LUI
C’est pas vraiment ce qu’on m’a dit à l’embauche.
GARDE
Tu verras par toi-même.
Quand ils arrivent d’un coup au pied du poste.
Tu verras l’escalade.
Les mains sur le fil barbelé tu verras comme ils grimpent.
Les uns sur les autres. Pas un cri.
Juste l’odeur. La chair déchirée.
temps.
Et toi t’es là , du sang plein les yeux . Tu comprends. Rien, personne ne pourra les arrêter.
LUI
A quoi bon surveiller si c’est vain.
GARDE
Faut aimer la ligne frontière pour comprendre .
LUI
On peut aimer un mirador ?
L’HOMME A LA VALISE
Monsieur.
Silence.
Monsieur.
LUI
Montrez-vous.
Silence.
Monsieur.
GARDE
Arrête, il va finir par croire qu’il entend son écho.
He l’homme t’es blessé.
L’HOMME A LA VALISE
C’est ma jambe. Elle est cassée.
GARDE
T’es où.
L’HOMME A LA VALISE
Je suis tombé dans le noir.
LUI
Il doit être dans la fosse.
L’HOMME A LA VALISE
Pitié.
GARDE
On te voit pas. Difficile de t’aider.
L’HOMME A LA VALISE
La porte, ouvre la.
LUI
Y a pas de porte.
L’HOMME A LA VALISE
Découpe dans le barbelé.
LUI
On peut pas le laisser.
GARDE
Attendons le petit jour on y verra plus clair.
LUI
Je descends.
Il descend.
GARDE
Je te conseille de pas jouer à ça avec moi.
Remonte immédiatement.
Il découpe le barbelé.
Je vais donner l’alerte.
Il se glisse dans la fosse.
He petit.
Il continue à progresser dans l’obscurité.
LUI
Vous êtes où ?
L’HOMME A LA VALISE
Là
GARDE
Barnabé.
LUI
Où ?
Un homme surgit de l’ombre, l’assomme, s’engouffre dans la brèche et disparaît.