Jean, producteur musical prospère, écourte un safari photo en Afrique pour rejoindre la maison familiale de Saint-Jean-de-Bazieux. Sa petite sœur, brutalement disparue, est enterrée. Confronté à la fratrie qui, elle, est restée au pays, il fera le bilan de sa vie et de ses idéaux perdus.
Un théâtre âpre et sensible pour faire entendre la complexité de nos chemins de vie et rendre hommage, avec une tendresse lucide, au monde rural.
extrait :
1/ Levée du corps.
Ils sont quatre dans cette pièce, devant c'est le cercueil que nous ne verrons pas. Nous entendrons le cercueil, le bruit du couvercle que l'on place, les vis qui s'enfoncent dans le bois, et les craquements du plancher ciré sous les pas des hommes qui l'emportent. Alors la lumière se fait et nous les voyons tous les quatre. Lui, le frère, pas rasé, pas peigné, hagard, habillé beaucoup plus jeune que son âge, touriste de retour des pays chauds. Amélie la seconde femme, tellement plus jeune et tellement jolie et tellement pas d'ici, le dos appuyé à la tapisserie année soixante dans le coin de la pièce. La sœur aînée, Jeanne, belle aussi mais d'une autre beauté, dans ses habits raides et sans âge. André, son mari, râblé, discret et nerveux, tellement d'ici. Tous les trois regardent devant eux ce qui n'est plus là. Ils regardent le trou sur la table drapée de noir, Amélie, en biais, de temps en temps, surveille le visage de son mari.
Jeanne : Voilà, aujourd'hui la journée commence comme ceci. Les jours avancent les uns derrière les autres, se montent les uns sur les autres, on les oublie et ce matin rien n’est pareil, ce matin on l'enterre. La messe est pour onze heures mais nous y serons une demi-heure plus tôt, Nous irons en voiture, prendrons ma voiture, Mais ne croyez pas... le temps file, ne pensez pas...ce n'est pas loin mais nous devons partir dans une heure tout au plus, Mademoiselle Amélie, j'ai sorti deux grandes serviettes à la salle de bain. Il y a ce qu'il faut, les shampoings, tout, l'eau délasse, faites comme vous voulez, je vous l'ai dit, faites comme chez vous !
Il faut manger aussi. André est allé chercher du pain frais. Le café est chaud, il y a du beurre, la confiture du jardin, enfin vous savez… Thé bien sûr! Il y a aussi, pour ceux qui préfèrent. Mademoiselle Amélie, vous êtes plutôt thé? Il faut manger, rien ne la fera revenir.
Après l'église ce sera le cimetière, le cimetière n'est pas loin. A son frère. Je sais que tu le sais, tu ne dois pas t'agacer, tu n'as pas à t'agacer lorsque j'en parle, je déroule cette journée parce que ça me fait du bien, je la pose devant moi comme un livre, je tourne les pages comme celles d'un livre que j'aurais déjà lu et je retrouve un peu de paix. Chacun y va comme il peut, chacun suit son propre chemin, Puisque nous sommes séparés, profondément et depuis longtemps. Nous sommes séparés mon frère. Je ne t'accuse pas mon frère, je te demande simplement de me laisser dérouler cette journée parce que ça me fait du bien.
Après nous irons au café, au café tout le monde est invité, proches ou lointains, le café nous est réservé, Il est ouvert à tous ceux qui sont venus pour elle, pour lui rendre hommage et nous saluer. Un casse-croûte est prévu, charcuterie, boissons, tout. André je ne veux pas voir qui que ce soit sortir un centime, tu le sais, l'addition c’est pour nous. Amélie, pour le bistrot, vous ne pouvez pas vous tromper, il est en face de l'église, il n'en reste qu'un ici, les autres ont fermé.
Enfin la veillée se passera en famille. C'est-à-dire nous, c'est-à-dire pas beaucoup, Les autres sont morts ou dispersés, les autres ne nous connaissent plus. La famille se retrouvera ici, dans la maison de famille. Vous en êtes Amélie, évidement vous en êtes! Nous mangerons, au moins nous serons ensemble, nous ferons ce qui doit être fait, aujourd'hui nous nous retrouvons et si elle nous voit, de quelque part, de là-haut, si elle nous voit… A son frère Ce matin, j'ai vu deux hommes tirer des fils devant l'église, poser deux enceintes, deux grosses enceintes sur le parvis.
Lui : Alors quoi?
Jeanne : Alors pourquoi deux hommes sont-ils venus poser …
Lui : J'ai pensé que... Je me suis dit que peut être l'église serait trop petite, Elle est petite notre église n'est-ce pas? Toute petite! Des gens viendront de loin et j'aimerais, J'aimerais que tout le monde puisse suivre, Tout le monde puisse suivre l'enterrement de ma petite sœur.
Jeanne : Des gens viendront de loin?
Lui : Des amis à elle. Des amis qu'elle a connus ces deux années où elle n'était pas là. Peut-être. Je ne peux pas en être sûr.
Jeanne : Tu t'es occupé de ça dans l'avion?
Lui : Après l'avion. J'ai débarqué- Amélie et moi nous avons débarqué- et je me suis occupé de ça tout de suite.
Jeanne : C'est la première chose qui te soit venue à l'esprit, amener de la musique?
Lui : Ce n'est pas de la musique- tu finiras par me reprocher ces enceintes - ce n'est pas de la musique! S'il y a trop de monde, mais ça je ne le sais pas, je ne peux pas le savoir, pas encore, personne ne le sait à l’heure qu’il est. Je dis juste que notre église est petite et là, oui, pour que chacun entende ce qui se passe, ce qui se dit dedans, j'ai pensé-tu finiras par me reprocher ces enceintes, j’en étais sûr!- j’ai pensé que pour des gens qui viennent de loin, s'ils ne peuvent pas entrer, ce serait la moindre des choses, qu'ils entendent, qu’ils entendent ce qui se dit dedans!
Ca ne me parait pas… Amélie sort. Vous me regardez d’une façon…