Le symptôme – Eté 76 d’Isabelle Jeanbrau

Eté 1976. Les valises sont prêtes. La famille Dunel se réjouit de passer les vacances dans les Pyrénées. Pourtant, depuis plusieurs jours, Diane, sept ans, se plaint de migraines et cesse de s’alimenter. Cela va sans doute lui passer…

Quand l’abus sexuel sur un enfant bouleverse les projets de réjouissances familiales, quelle autre solution que la fuite en avant ? Le portrait au vitriol d’une époque pas si révolue. 


Extrait


(…)

Matthieu fait voler les fourchettes tels des avions imaginaires. Bénédicte marche sur la pointe des pieds, nappe et serviettes sous le bras, boite de chocolats dans l’autre main. Anna porte une pile d’assiettes. Diane ferme la marche.

La fille: Maman, mais non, j’ai pas mal à la tête parce que je suis tombée… j'ai mal à la tête comme hier, je te dis...

La mère : Comme hier !… Oh mais, ma chérie, c’est pas possible, ce mal de tête qui ne passe pas… Ca fait plusieurs jours maintenant.

Le père : Non mais si vous faisiez moins les fous avec ton frère et ta cousine, Diane, t'aurais pas déclenché ton mal de tête. S'affaler, ça fait forcément un choc qui peut monter jusqu'au crâne.

Le fils (impressionné) : Jusqu'au crâne !

La mère : Tu l'as vue tomber, François ? Sa tête a tapé le sol ?

La fille : Mais non, Maman, je te dis !

Le père : Non, elle s'est étalée de tout son long. Ils se courent après, qu'est-ce que tu veux.

La mère : Elle se plaint à nouveau d’avoir mal au crâne, maintenant. Elle n'a rien eu de la journée et ça recommence. On ne va pas te gaver d’aspirine, Diane.

Le père : Oh ben tu peux ! Si Diane est comme moi, tu peux lui en donner autant qu'elle voudra : moi, ça me fait l'effet d'un emplâtre sur une jambe de bois.

La tante (brandissant son sac à mains) : J’ai tout un paquet d’aspirine contre le mal de tête, si tu veux, Anna. Sers-toi, hein, dans mon sac, sers-toi…

Le grand-père : Vous avez la migraine, Anna ? Ah ce n’est pas le moment ! Avec la route qui nous attend demain, il vaut mieux que vous soyez en forme. Je ne sais pas à quelle heure François a programmé l'heure du départ ? Tu comptes mettre le réveil à quelle heure demain, François ? Non mais parce qu’il faut que tu nous le dises, avec ta mère, qu’on fasse en fonction. Allez-vous coucher sans souper, Anna, si vous préférez...

La mère : Non mais je vais très bien, Henri, je vous remercie. C’est pour Diane.

La grand-mère : Qu’est-ce qu’elle a, la petite ?

Le père : On ne comprend pas pourquoi Diane se plaint depuis plusieurs jours maintenant de maux de tête. C’est emmerdant quand même. Ça peut pas être l'excitation à la perspective des grandes vacances. Elle dit sans arrêt qu’elle a mal à la tête. Elle ne devrait pas pourtant.

La grand-mère : Eh bé mais qu’est-ce qu’elle a ?

Le grand-père : Il te dit qu’ils ne savent pas ! Ecoute un peu ! Va t’occuper du confit, plutôt. La petite est fatiguée, voilà.

Le fils : Oui, Diane a mal jusqu’au crâne.

Diane est allée s’asseoir à la table, la tête posée sur son bras replié.

(…)

Le fils (regardant Bénédicte) : Ça coupe l’appétit, les chocolats.

La tante : Qu’est-ce que tu dis, mon chéri ? (brusquement hystérique) : Bénédicte ! Bénédicte ! Pose-moi ces chocolats ! Non mais c’est pas vrai, mais c’est pas vrai ! On passe à table là !

Le père : Matthieu, merde ! Fous la paix, on t’a dit.

La mère : Qu’est-ce qu’il te prend ? Pourquoi tu l’engueules tout d’un coup ?

Le père : Mais je ne l’engueule pas. Mais il n’est jamais là où il faut être !

La mère : Mais il n’a rien dit ! Ça fait dix minutes qu’on l’entendait plus.

Le père : Ben dix minutes, c’est pas assez.

La tante : Non, mais c’est pas grave, c’est pas grave, c’est pas grave…

Silence.

La fille : Maman ?

Tous les adultes : Oui, Diane ?...

La fille : Si j’ai trop mal à la tête, on va pas dans la maison de vacances des Pyrénées ?


(…)

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