Partis de leur vallée reculée, Louise, Laurent et leur mère sont venus s’installer à la ville. Louise regrette son enfance dans la nature, Laurent, lui, croit en son avenir de citadin. Ce soir, l’oncle est venu dîner, c’est là qu’ils apprennent la nouvelle : suite à des pluies torrentielles, la vallée est engloutie par une crue historique. Faut-il y aller ? Partir à la recherche de la grand-mère disparue ? Que peuvent-ils sauver ?
Un hymne à la nature sous forme de fable écologique. Une langue sensuelle et poétique. Deux beaux portraits d’adolescents au seuil de leur vie.
Extrait :
Milieu de journée.
Louise est toujours assise devant la télévision allumée.
Elle est épuisée, mais elle ne dort pas.
Laurent entre.
LAURENT.- Qu’est-ce que tu fais ?
LOUISE.- J’attendais que tu te réveilles. Tu as entendu le communiqué ?
LAURENT.- Quel communiqué ? Les images tournent en boucle, Louise, c’est toujours la même information. Éteins ça et viens, on va manger.
LOUISE.- J’ai pas faim. Il y a eu des nouvelles. Ils parlent d’une dizaine de morts, de plusieurs dizaines de disparus.
LAURENT.- C’est ça une catastrophe, c’est quand on commence à compter les morts.
LOUISE.- Tu as vu tous ces troncs qui flottent ? Le bois cassé, couché ?
LAURENT.- On dirait des allumettes qui flottent. Mais ça a l’air dégagé, là. Le ciel est dégagé, c’est bon signe.
LOUISE.- Signe de quoi ?
LAURENT.- Que c’est fini. Maintenant il n’y a plus qu’à attendre que l’eau redescende et que maman revienne.
LOUISE.- C’est pas fini. Il va falloir des semaines avant que ce soit fini. Que les réparations soient faites. Que tout reprenne sa place.
LAURENT.- La rivière va bien finir par retrouver son lit.
LOUISE.- Le lit est défait, tu vois pas ? Regarde bien. Regarde-les, ces images. Regarde-les vraiment ! Les rives, il n’y en a plus. Il y a des routes à la place des cailloux, des cailloux à la place des routes, des plaques de bitume au milieu de l’eau, plus rien pour retenir la terre, et là, là, regarde, une partie de la colline a glissé avec le torrent, tu crois vraiment que la rivière va retrouver son lit, là ?
LAURENT.- Mais oui. De toute façon on peut rien faire. On peut pas recoller les rives ou les murs d’une maison, remettre la terre sur la colline et redonner vie aux morts. On peut pas réparer.
Il y a plus qu’à oublier. Il faut s’habituer à l’idée de cette catastrophe.
LOUISE.- S’habituer ?
LAURENT.- Oui s’habituer. Faire avec. Faire avec les tempêtes, la destruction, les catastrophes.
Il y en aura d’autres. A un moment on cherchera plus à empêcher les catastrophes, on cherchera juste à fuir plus rapidement. Ou s’habituera. Jusqu’à ce qu’on trouve des solutions techniques pour empêcher les drames.
LOUISE.- N’importe quoi. Tu dis n’importe quoi. « Des solutions techniques pour empêcher les drames », tu t’entends ?
LAURENT.- Mais oui, bien sûr, il y a des gens qui cherchent des solutions, qui inventent des nouvelles technologies pour éviter les catastrophes, les prévenir. Mais pour l’instant, pour nous, là, maintenant, ici, se ronger à savoir si ça aurait pu être autrement, ça sert à rien. Faut avancer.
LOUISE.- Il y a des gens qui ont été emportés par la boue et toi tu parles de technologie ? Tu crois que c’est ça qui va les sauver ?
LAURENT.- Je vais pas me gâcher à la vie à penser à ceux qui sont morts. Ça sert à rien. Moi je pense aux vivants. Un temps. Ils n’ont pas appelé ?
LOUISE.- Si, maman a appelé.
LAURENT.- Et tu me dis ça maintenant ? Pourquoi tu m’as pas réveillé ? Qu’est-ce qu’elle a dit ?
LOUISE.- Ils l’ont pas retrouvée.
LAURENT.- Elle était pas dans la maison ?
LOUISE.- Non. Elle est nulle part. Ils continuent à chercher.
LAURENT.- A mon avis faut pas trop espérer.
LOUISE.- Quoi ?
LAURENT.- Ça m’étonnerait qu’on la retrouve.
LOUISE.- Pourquoi tu dis ça ?
LAURENT.- Une femme âgée en pleine tempête, la nuit, si elle était pas chez elle, à l’abri à l’étage, elle a été emportée.
LOUISE.- Non mais tu t’entends ?
LAURENT.- C’est pas vrai ce que je dis ?
LOUISE.- C’est ta grand-mère aussi.
LAURENT.- Et alors ? C’est pas une raison pour avoir plus d’espoir que pour les autres.
LOUISE.- Tu t’en fous complètement de ce qui se passe là-bas.
LAURENT.- C’est pas que je m’en fous, mais je suis pas inquiet. Si elle est morte, alors on peut rien faire, si elle est vivante les secours s’en occupent. On peut rien faire de plus.
LOUISE.- Si c’était quelqu’un d’autre, oui, je pourrais parler comme toi, peut-être. Mais elle, non. Je peux pas. Je peux pas penser que son corps a été emporté dans l’eau froide et noire, au milieu des débris et de la nuit, désorientée, de l’eau dans la bouche, ses vêtements qui l’empêchent de nager.
LAURENT.- Sa vieille blouse à fleurs qui l’empêche de nager ?
LOUISE.- Arrête.
LAURENT.- Je ne peux pas l’imaginer mourir sans sa blouse.
LOUISE.- Comment tu peux plaisanter ? T’es pas mon frère, c’est pas possible.
LAURENT.- C’est bon Louise, essaie de te détendre un peu.
LOUISE.- Me détendre ? J’ai pas du tout envie de me détendre.
LAURENT.- Écoute, toi tu vas aller dormir et moi je vais chercher de quoi manger. Il faut que tu te reposes et que tu reprennes des forces, Louise, là, t’es pas dans ton état normal.
LOUISE.- J’ai pas envie de reprendre des forces !
LAURENT.- Pourtant, là, ce qu’il te faudrait, c’est exactement ça, manger et dormir. Dors !
Laurent sort de l’appartement.
Louise s’allonge, regarde encore un peu la télévision.
Puis elle se lève et éteint l’écran, se rallonge.
Tout doucement, elle se détend, ferme les yeux et égrène des noms d’oiseaux :
Martin-pêcheur
Huppe fasciée
Aigrette garzette
Vanneau huppé
Héron cendré
Bergeronnette des ruisseaux
Hirondelle des rivages
Elle s’endort.
(…)