Mathilde Souchaud > Les échos de la forêt

Une demeure dans une forêt au bord de l’océan. Alors que vont bientôt arriver frère et sœurs, père, compagnons, oncle, cousine et neveu, un chevreuil s'encastre sans raisons dans la baie vitrée. Un vent de sauvagerie va dès lors s’engouffrer et dévaster la maison.

  • Un jeu de massacre aussi féroce que burlesque, à la mesure des interdits et des secrets qui peuvent emprisonner les familles.  


extrait                                          

LE CHEVREUIL

ÉLÉNA et SOPHIE dans le salon d'une petite maison de bord de mer donnant sur une forêt de pins.

Un chevreuil est encastré dans la porte-fenêtre. Cette porte-fenêtre s'ouvre sur une terrasse meublée d'un salon de jardin défraichi. L'animal est mort. Des morceaux de verre éparpillés au sol, du sang. ÉLÉNA est sur le pas de la porte, interdite. SOPHIE s'est réfugiée sous la table du salon.

ÉLÉNA. Je crains le pire. Il est mort ? Il ne bouge plus. Il est mort. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Il a foncé sur toi ? Foncé. Comme ça. Il est mort ! Tu vas bien ? Sort il est mort. Sophie ?

SOPHIE sort sa tête de dessous la table.

ÉLÉNA. Il a disjoncté ! Le bruit était horrible. Regarde son cou ! Il est quelle heure ? Dix heures trente ! Merde. Il faut s'activer. Tout était prêt. On avait tout de prêt merde. Je les entends d'ici : le petit va vomir Bertrand va s'évanouir.

SOPHIE. J'ai eu peur j'ai cru qu'il allait me transpercer.

ÉLÉNA. La chair va pourrir !

SOPHIE sort de dessous la table et s'approche prudemment de la bête.

SOPHIE. Il est beau. C'est triste. Salut la bête on se reverra.

Elle le caresse.

SOPHIE. comme une oraison funèbre pour accompagner le chevreuil.

Chère désillusion

ma sombre amie

m'attends-tu tapie

encore encore

à l'ombre de mon néant ?

ÉLÉNAIl faut agir.

Elle passe de l'autre côté de la baie, à l'extérieur. Elle tente de tirer le chevreuil par une patte pour l'extraire de la porte-fenêtre.

ÉLÉNA depuis l'extérieur. C'est quoi le protocole ? On loue une grue ? On garde la tête pour le tableau de chasse ?

SOPHIE marche dans le sang qui se répand progressivement au sol. Elle recule, laissant une trainée sombre sur son passage.

SOPHIE. Du sang.

ÉLÉNA. C'est pas vrai ! Il nous faut de l'aide. J'appelle la gendarmerie.

ÉLÉNA revient dans le salon, son téléphone à la main. Elle cherche le contact de la gendarmerie.

Elle a du mal à trouver la connexion depuis son téléphone.

ÉLÉNA. Connexion de merde !

Elle essaye d'appeler la gendarmerie.

ELENA. Allô ? Allo. A-llo. Ça ne passe pas aujourd'hui. On est coincé avec notre biche folle.

SOPHIE. Chevreuil.

ÉLÉNA. Va chercher des serpillières dans le placard du couloir.

SOPHIE. J'ai entendu une voiture dans l'allée.

ÉLÉNA. Mais non. Pas déjà.

ÉLÉNA pousse avec son pied les morceaux de verre éparpillés, elle marche un peu dans le sang qui coule de la bête à son tour. SOPHIE revient avec un balai.

SOPHIE. Il est vide ce placard. Je passe au moins le balai ?

ÉLÉNA. Ça va étaler ! Merde.

On sonne à la porte.

ÉLÉNA. Et merde !

SOPHIE. Les cons !

SOPHIE s'effondre sur le canapé.

NOIR


LA FAMILLE

ÉLÉNA et SOPHIE viennent d'accueillir leurs convives. Réunis dans le salon : leur père,

PATRICE ; leur petit frère BERTRAND et son petit ami, JÉRÉMIE ; leur oncle maternel, CLAUDE, sa chienne NÉNETTE, leur cousine MARINA, fille de Claude et son fils MARCEL-ANGE ; et enfin

ANTOINE, le mari d'ÉLÉNA. Le groupe est rassemblé autour du chevreuil mort. Ils sont encore en manteaux, leurs bagages autour d'eux. SOPHIE est restée immobile sur le canapé.

ELENA. Vous avez fait bon voyage ? Ça n'était pas trop serré à l'arrière depuis la gare ?

CLAUDE. Parfait. Parfait. Je ne conduis plus moi. J'ai passé l'âge.

ANTOINE. Leur train avait du retard. Je les ai attendu plus d'une heure. Il n'y a même pas un café pour.

ELENA. Jérémie ? Bertrand ? De votre côté ?

BETRAND. On s'est totalement perdus en quittant la départementale. On capte rien ici ?

MARINA au bord des larmes, fixant le chevreuil. C'est abominable. Je ne comprends pas.

Comment. Comment on a pu. On a déréglé la nature à ce point-là ?

MARCEL-ANGE, le fils de MARINA, semble fasciné par la créature sanguinolente. Il s'approche pour la toucher. CLAUDE tient NÉNETTE dans ses bras qui grogne en direction de l'animal.

CLAUDE. Touche pas Marcel-Ange ! C'est sale !

MARINA. Merci quand même pour l'invitation. C'est vraiment sympa de vous retrouver. Ça faisait longtemps. Avant de venir je regardais d'anciens albums photos de nos vacances ici. La tronche !

Sophie tu avais des kilos ! Vous vous souvenez quand elle avait neuf ans ? Et Bertrand ! Un ange !

Mes cousins chéris je suis ravie de vous voir tous les trois ensemble. Bien qu'un animal mort nous observe avec une grande intensité.

(...)

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