Pendant la Shoah, certains ont résisté en écrivant, enterrant leurs récits et cachant leurs livres. C'est en leur redonnant la parole que le témoin d'aujourd'hui pourra affronter l'Histoire. Car il s'agit de cela : traverser la cendre et demeurer vivant. Par les mots.
- Quand la transcendance du verbe s’oppose à la réalité la plus brutale : une partition poétique, composite et inspirée, qui rend hommage aux victimes de tous les massacres ayant pu témoigner.
(...)
Toi, le mort, il faut que tu prennes ta part maintenant.
je m’étais habitué à être disparu
Il faut que tu reviennes
qui pour dire mon nom
Tu es sur le seuil maintenant.
le silence seulement le silence
Tu respires. Tu regardes. Devant à droite à gauche.
comment faire un pas
Derrière toi la porte franchie fermée maintenant
ai-je déjà fait le chemin
Tu veux avancer. Tu te penches. Tu moulines des bras. D’avant en arrière. Tu vacilles. Tu n’as pas d’ailes pour éviter la chute. Tu transpires. Tu ne bascules pas. Tu inspires. Tu souffles. Tu te redresses. Le regard loin devant là-bas au-delà tu essaies. Rien. Tu ne vois rien.
l’aube le midi le soir la nuit peut-être
Tu essaies
je ne me souviens pas d’avoir su
Balancement maintenant
Tangage maintenant
Ondoiement maintenant
un chant là-bas loin devant quelque part
Tu veux le rejoindre
Tu te demandes
qui chante dans le silence
Le silence
Pourtant tu entends le chant
un chant
une langue familière
mais je ne la comprends pas
Berceuse presque
Tu ne sais plus le temps
cette langue de toujours
sa musique
Alors tes larmes
je n’ai pas de larmes
un mort n’a pas de larmes
Maintenant tu es revenu
comment revenir d’entre les parcelles de terre
Tu dois dire ce qui est tu
Déterrer les mots
Trouver les mots de passe
comment dire la langue d’après la mort
Tu as disséminé ton récit sous les cailloux
des bribes noircies
Certains sont venus ont retourné les pierres, les mottes, les ont brisées, les ont ouvertes, ont arraché ce qui demeure.
comment être et ne pas être
Il te suffit de dire je
est-ce qu’il suffit que tu m’aies dit tu pour que je puisse dire je
(…)