Un été, Roxane est victime d’un viol. Le soir même, elle rencontre Joy et Kenza, les « Loubardes », qui deviennent ses amies. Avec leur soutien, Roxane tente d’obtenir réparation. Elle devient travailleuse du sexe et, peu à peu, se transforme en requin.
Un récit singulier à la langue sensuelle et à l’adresse frontale qui mêle le témoignage, le rêve et la fiction pour mieux déjouer les fatalités et les attendus en matière de viol et de réparation.
Extrait
CETTE HISTOIRE
KENZA Cette histoire commence loin, bien avant les choses graves.
Elle commence à l’époque où, petites filles, nous dépendions trop de l’amour. À l’époque où les regards façonnaient trop nos corps, travaillaient nos désirs, où les mains posées sur nos poitrines en faisaient des diamants, où des doigts trop brutaux les auraient mis en miettes... De cette histoire-là, on ne pourra jamais tout dire.
JOY Elle commence un été :
Il était une fois toi, cet après-midi-là de cet été-là de cette année-là...
Il était une fois toi, qui avait chaud et envie ?
Il était une fois toi, qui offris ta confiance ?
Il était une fois toi, qui...
Bon, Roxane avait rouvert son compte Tinder. Elle avait fait défiler une centaine de profils et avait fini par matcher avec un gars vraiment canon sur ses photos, qui avait apparemment une grosse moto et qui...
ROXANE
Y’ a rien à dire là-dessus. Cette partie-là de l’histoire, on peut la résumer très simplement, en faisant une blague pourrie :
C’est l’histoire d’un gars qui rentre dans un bar et qui dit « Salut, c’est moi ! » Et puis en fait c’était pas lui.
C’est moi le bar, dans l’histoire, et je connaissais pas la fin de la blague, parce que quand le gars m’est rentré dedans, j’avais les yeux bandés.
JOY
L’histoire d’un gars qui rentre dans un bar et qui dit Salut c’est moi et puis en fait c’était pas lui...
Ça pourrait être un scénario de film d’horreur, ou un début de polar. Ça pourrait aussi être un porno, selon le point de vue. Mais si pour toi c’est un porno, c’est sans doute que t’as pas compris la fin.
KENZA
Roxane a raconté cette histoire avec tous les détails, des dizaines de fois. Elle n’a jamais réussi à la résumer et on ne peut pas la résumer parce que, pour la comprendre, l’histoire, il faut tout raconter, depuis le début, le tout début, depuis les origines, depuis la genèse de Roxane. Elle l’a racontée à toi, à nous, à la police de merde, à des amis, des amants, des inconnus, aussi.
Elle l’a trop racontée pour qu’elle soit encore sienne.
JOY
Plus tu as raconté les faits, plus tu as oublié le reste : l’essentiel, les sensations. Oui vraiment t’as… oublié. Tu te demandes même parfois « est-ce que j’ai vraiment douillé ? » et si c’était à nous que tu le demandais, on te dirait que : Oui Roxane, tu as vraiment douillé.
Mais t’as des ressources, t’es solide ; et je sais, les violences, on s’y fait, on encaisse, on devient dure comme la corne sous les pieds à force d’écraser des cailloux sur la plage.
Quand on se fait prendre son corps une fois, la deuxième fois on tilte moins. La troisième, on remarque à peine.
Après c’est monnaie courante. Ça fait mal, ah oui peut-être, mais ça glisse, ça passe, je sais. Comme une « lettre à la poste », comme une queue dans une chatte artificiellement mouillée.
KENZA
À nous, tu as tout raconté, sans avoir peur de ce mot-là : VIOL VIOL VIOL. Ce mot, tu l’as tellement répété et cette histoire, tu l’as tellement racontée, à nous, aux flics, à quelques inconnus, t’as usé le mot, les mots, à la corne pour les vider de leur sens, de l’essentiel, des sensations.
Ça t’écorche plus les oreilles, et ça te fait presque marrer de le balancer en soirée quand les gens sont pas prêts : VIOL !
(…)