Alexis Ragougneau : «  Notre Père » 

Un ancien membre de la Congrégation des Soldats du Christ évoque, 50 ans après les faits, les horreurs commises par le père Clemente, directeur de l'institution. Ou comment, derrière la figure internationalement respectée d'un dignitaire de l'Eglise se révèle le visage d’un monstre. 

Inspirée d’une histoire vraie, cette pièce met en lumière les mécanismes de domination, d’intimidation et de sujétion exercés sur de jeunes adultes au sein de l’institution catholique… Le masque du Bien peut-il cacher le visage du Mal ? Quelle est la valeur du silence ? Celui-ci peut-il détruire une vie ?

extrait :

Les novices en soutane jouent au football. Arturo, insolent de facilité, multiplie les dribbles victorieux sur Rafael.

CARAVACA. – Ne te décourage pas, Rafael. Arturo est le champion de la congrégation, le buteur du collège, le di Stefano du Vatican. Persévère. Le Soldat du Christ est un combattant, il attaque et défend au nom de Jésus Notre Sauveur. Seul contre tous il peut tenir un siège… Vous êtes l’armée du Christ rangée en ordre de bataille, ne l’oubliez jamais. Comme le dit Notre Père Fondateur, combattre est déjà une victoire… Une fois ordonnés prêtres vous aurez pour mission de trouver de nouvelles vocations, vous vous mettrez en quête de fonds pour la congrégation. Vous ne vous arrêterez pas à la première bataille perdue. Des mères agrippées à leur fils vous diront : « non, mon Père, il est trop jeune pour votre séminaire » ; des oncles, des cousins, des amis prendront soudain un air contrit : « tu le sais bien je ne roule pas sur l’or, je ne peux pas te faire de don aujourd’hui. » Le Soldat du Christ ne s’arrête pas à un refus. Il sait qu’il est l’élu. Il revient à la charge encore et encore car il sent qu’il poursuit le bon but…

ARTURO (bas). – Change de lunettes, Rafaelito !...

Arturo se débarrasse une nouvelle fois de Rafael.

RAFAEL. – Mierda !

CARAVACA. – Rafael, surveille ton langage je te prie.

RAFAEL. – Pardonnez-moi, mon Père.

CARAVACA. – Tu réciteras dix Notre Père et dix Je vous salue Marie pour ce que tu as dit.

RAFAEL. – Oui, mon Père.

CARAVACA. – Et tu iras me nettoyer cette soutane sale au savon noir.

RAFAEL. – Oui, mon Père.

CARAVACA. – Nous ne sommes pas chez les Jésuites, que je sache.

RAFAEL. – Oui, mon Père.

CARAVACA. – Maintenant file vite à la buanderie.

RAFAEL. – Oui, mon Père.

CARAVACA. – Mes enfants, je profite de ce moment de détente en plein air pour vous annoncer la venue de notre bien-aimé Père Fondateur à l’occasion de son anniversaire. Il sera là demain matin, nous amenant joie et bonne humeur, et célèbrera avec nous la messe de onze heures.

Soudain distrait, Arturo se laisse subtiliser le ballon par Rafael qui file marquer un but et se répand en cris vainqueurs.

Le Père Klement le regard dissimulé derrière des lunettes noires.

KLEMENT. – Je suis ici incognito, j’exige l’absolue discrétion. Dans le métier on m’appelle Monsieur K, je ne puis en dévoiler davantage concernant mon identité, il en va de la sécurité des Etats-Unis d’Amérique. Je suis toutefois autorisé à dire que j’opère pour le compte du gouvernement à Washington ; là-bas je dispose d’un bureau fermé par trois verrous sécurisés. Sur ce bureau sont posés trois tampons encrés sur lesquels il est inscrit respectivement : « FBI », « CIA » et « God Save America ». Ici dans ma poche revolver se trouvent les clés d’une voiture ultra-rapide dont la carrosserie, très épaisse, est blindée ; dans ma poche droite se trouve un Walther PPK calibre 9mm muni d’un silencieux et, bien entendu, chargé. J’ai suivi un entrainement ultra-perfectionné aux côtés des meilleurs spécialistes des interventions discrètes mais musclées : en Alaska j’ai nagé dans un lac (température : trois degrés) en tenue de nageur de combat non-isolée ; en Asie j’ai suivi l’enseignement des grands maîtres du Kung-fu, du Judo et du Karaté ; en Alabama j’ai appris comment résister aux tortures, à la psychanalyse et aux injections de cyanure sous-cutanées. Je suis immunisé contre la rage, la peste, la trisomie, la tuberculose et l’homosexualité. Mon champ d’action couvre l’Amérique du Nord, l’Amérique Centrale, l’Amérique du Sud, l’Espagne, l’Italie (Vatican compris), la France, l’Irlande et bien évidemment la Suisse. Je n’ai qu’une seule faiblesse à ma cuirasse : je suis un séducteur invétéré ; pas une femme ne me résiste, je tâte, je touche, je flaire la minette en chaleur. J’en ai connu des dizaines, des centaines, peut-être même des milliers (voilà bien longtemps que j’ai renoncé à compter). Lorsque j’enlève mes lunettes noires les demoiselles sentent leur entrecuisse s’humidifier ; certaines vont même jusqu’à faire des malaises. Parfois il faut appeler les pompiers.

Il fait mine de retirer ses lunettes noires.

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