Marc-Antoine Cyr : «  L'atelier aux méduses » 

Un peintre illustre décide de finir sa vie au milieu de ses toiles qu’il a récupérées partout où elles étaient exposées. Un jeune pigiste, travaillant pour une revue, le rencontre et l’interroge. Le vieil homme lui dit vouloir tout brûler… 

Fable toute en finesse, d’une belle maturité sur l’art, la transmission et la paternité. Un théâtre de parole et d’incarnation, faisant la part belle à l’acteur et à notre imaginaire.

extrait :

MELCHIOR – Bon de deux choses l’une.
Il y a un seul génie dans la pièce. La logique la simple logique ce serait de laisser la
parole au génie vous pensez pas ?

BERTIN – J'ai été inintéressant.

MELCHIOR – C'est moi qui parle ici.
Lisez-moi le début de l'article.

BERTIN – Maintenant vous voulez que je parle ?

MELCHIOR – Qu'est-ce que je viens de vous demander ?

BERTIN – J'avoue que je perds pied.

MELCHIOR – Lisez-moi le début de votre article !

BERTIN – C'est un peu brouillon.

MELCHIOR – Je vais vous asperger de térébenthine. Lisez !

BERTIN – « Stupéfaction ! »
« Stupéfaction dans le monde de l'art contemporain ! »
Ça fait fort pour un début. Je suis assez content de mon début.

MELCHIOR – Mettez « angoisse ».
Non « consternation ».

BERTIN – Que je rature déjà ?

MELCHIOR – Mettez « stupéfaction ».

BERTIN – Comme je l'avais écrit ?

MELCHIOR – Je décide que ce sera « stupéfaction ». Poursuivez.

BERTIN – « Const– »
Non. « Stupéfaction dans le monde de l'art contemporain. Le peintre Melchior, le peintre des méduses… »

MELCHIOR – Rayez ça. « Peintre des méduses. »

BERTIN – C'est comme ça qu'on vous appelle.

MELCHIOR – Je n'ai jamais peint une seule méduse.

BERTIN – Pourtant on jurerait que oui. Toute votre dernière époque.

MELCHIOR – Je vais vous lancer un de mes souliers au visage.
Lisez.

BERTIN – « Le peintre Melchior, (murmurant) ptm d mdzm, a fait rapatrier chez lui une à une la quasi totalité de ses toiles pour une durée indéterminée, privant ainsi le monde de leur surnaturelle beauté. »

MELCHIOR – C'est nul. Poursuivez.

BERTIN – « Il laisse dans un deuil abyssal des millions d'amateurs d'art qui constatent, effarés, devant les murs vides des grands musées du monde – MoMa, Beaubourg, Musée National – l'exil des chefs-d'oeuvre. Quel est le sens de cet acte et jusqu'à quand le maître laissera-t-il l'humanité entière privée de ses trésors ? Reverrons-nous un jour les couleurs si particulières de Melchior accrochées aux murs des grands musées, à leur légitime place ? Emprise enquête. »

Silence lourd.

MELCHIOR – Vous ne dites plus rien ?

BERTIN – Quand vous me regardez comme ça je sais plus quoi dire.

Je fige. Je suis désarmé.
Vous me donnez pas votre avis ?

MELCHIOR – À la seconde où on se trouve vous ne l'avez toujours pas déchiré votre
torchon ?

Entre Blanche. Petit fracas.

BLANCHE – Pardon.

MELCHIOR – Ça dérange. On travaille.

BLANCHE – C'est pour le thé. Je servirais du thé.

MELCHIOR – C'est pas le moment. Plus tard.
Il y a une assiette sale juste là.

BLANCHE – Oui. Pardon de vous avoir dérangés.

Sort Blanche.

MELCHIOR – On en était où ?

BERTIN – Je mourais de honte.

MELCHIOR – Vous rougissez. Ça me touche.

BERTIN – Je suis inadéquat.

MELCHIOR – Au dernier degré.

BERTIN – Vous me hurlez pas de sortir ?

MELCHIOR – J'aime vous voir rougir. C'est drôle.

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