Caroline Leurquin : Habitam eternam

Hélène écrit à sa mère décédée. Pour ce faire, elle jette ses lettres au vide-ordure. Tel est le meilleur moyen, selon elle, pour la joindre. Les deux femmes ne s’aiment guère, ou plutôt la mère n’aime pas sa fille, elle ne l’a jamais aimée. Le temps est donc venu de s’expliquer. Assassinée malencontreusement par un serial killer, Hélène rejoindra finalement la défunte dans les limbes. Elle sera accompagnée par le parquet de l’appartement, tombé amoureux d’elle et incendié depuis, ainsi que par le curieux inspecteur chargé de l’enquête... 

Un texte poétique et loufoque, à l’humour grinçant et à l’imaginaire décalé, pour raconter les trous de l’âme et les cruautés du sort. Un duo mère-fille détonnant.


Extrait :

MARIE-THERESE :

(Lettre d’une petite chambrette en enfer ou au paradis, on ne sait…)

Ma fille,

Je t’adresse ce courrier d’une petite chambre moche où je tente de dégonfler.

Je voulais te féliciter pour m’avoir laissée, cet été, avec une bouteille d’Evian en plastique 50cl à côté de la fenêtre ouverte.

Il a fait un peu chaud figure-toi mais, toi qui te vantes de ne jamais regarder la télévision, aurais-tu oublié de t’aventurer dehors ne serait-ce que pour aller à l’agence de voyages ?

Je revois les deux flics s’indigner devant mon cadavre couvert de mouches, puis fouiller mon appartement. Ils passaient et repassaient devant mes cadres favoris : celui de Jésus qui ouvre et ferme les yeux, sa couronne d’épines sur la tête et de Marie qui ouvre et ferme les yeux, ses petites mains blanches serrées sur son cœur. Qu’est-ce que j’ai pu les regarder… C’est de la magie ces trucs-là. J’avais retiré depuis longtemps le portrait de toi à l’école primaire. Avec ta coupe au bol et ton bouton de fièvre, finalement tu avais raison : tu étais moche !

Ils ont commencé à fouiller et donc à découvrir que j’avais de la famille. Que j’avais toi en somme.

On vient me chercher pour me ponctionner, il paraît que trop d’eau nuit à une torture par le feu en bonne et due forme. Je ne sais pas s’ils blaguent. Ils semblent avoir le même humour que ton père. Pour l’instant je suis assise, je ne bouge pas. Je regarde s’agiter ces êtres lumineux et grésillants. Après, je viens juste d’arriver, j’ai du mal à bien déterminer le lieu…

Ta mère

HELENE :

Chère maman,

Cela fait maintenant deux semaines que tu es partie, ou peut-être plus car on n’a pas vraiment pu définir la date exacte de ta mort quand on t’a trouvée. Personne n’a jugé nécessaire d’autopsier. Il y a eu beaucoup de décès ces derniers temps. Je n’aurais pas aimé qu’ils ouvrent ton corps pour voir des petits bouts d’organes desséchés afin de dire le 17 plutôt que le 19, 14h plutôt que 19h. Puis quand on voit le boulot du thanatopracteur… d’ailleurs il n’a toujours pas répondu. Il doit sûrement s’occuper à regonfler une cuisse avec sa pompe à vélo…

J’ai vidé ton appartement. C’était très très sale. Pour quelqu’un qui m’a poursuivie pendant des années pour que je range ma chambre j’ai trouvé ça un peu fort. Ça sentait très fort d’ailleurs... Il parait que c’est une maladie de ne pas jeter ses ordures, ça s’appelle le syndrome de Diogène. Ce fut un moment très éprouvant, maman, mais je reste persuadée que tu devais trop souffrir pour te rendre jusqu’au local poubelles. Je m’en veux de t’avoir négligée. Je m’en veux mais reconnais que tu n’étais pas facile…

J’ai emménagé chez toi. C’est un peu pour ça que j’ai lavé. Je suis sûre que tu n’approuverais pas mais… tu es morte. Je n’ai que mon imagination pour te voir détourner la tête, pincer les lèvres et me lâcher un « ça ne m’étonne pas… tu n’étais rien hier, rien aujourd’hui et tu ne seras rien demain ma pov fille. Toujours à racketter ta mère même après sa mort… ». Ça me fait mal mais je peux vivre avec…

Je t’envoie cette lettre par le vide ordure, elle t’arrivera peut-être…

C’est ce que j’ai trouvé de plus évident…

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