Louis Storck, professeur d'université d'une cinquantaine d'années, couche un soir avec une de ses doctorantes, Géraldine Ruben, venue à son domicile l’interroger sur l'avancement de sa thèse. Après quelques semaines, Géraldine signale le comportement du professeur à l'université. Une commission d'instruction est constituée. Mission : retenir ou non l’accusation de viol et sanctionner en conséquence (ou non) l’accusé...
Un théâtre dialectique et performatif d’une ampleur inédite pour convoquer le tribunal de nos consciences sur la question si polémique du consentement. Un plaidoyer pour la dignité, implacable et remarquablement écrit.
Extrait :
(...)
LOUIS
Je te ressers ? Moi je m'en ressers un, dans tous les cas.
GÉRALDINE
Un dernier alors. Je tiens pas bien l'alcool.
LOUIS
(Au public, en s'éloignant des deux chaises)
Je ne peux pas vous le faire sentir à tous, mais mon coeur bat fort, là.
(Il prend le public à témoin) Je n'ai pas rêvé, vous êtes d'accord ! Elle nous fait clairement basculer dans l'ambiguïté, non ? Je veux dire, ce n'est pas moi qui plane.
Oh merde, et si j'étais en train de planer... Arrête tes conneries Louis, tu vas te ridiculiser, elle a trente ans de moins que toi... Et si ce n'était que ça... Même si j'avais mon corps de vingt-cinq ans, je n'aurais pas une chance. Elle n'est pas le genre de fille que je séduisais à vingt-cinq ans.
Mais ce n'est pas moi qui ai parlé d'amour entre nous tout de même !
Elle non plus, pas vraiment, cela dit. C'était bizarre. Je ne sais plus bien ce qu'on s'est dit.
OK, j'ai dit dommage, mais il y avait plein de manières de l'entendre ce dommage. Elle a insisté, j'ai pas rêvé, elle a insisté à me dire qu'il aurait été possible qu'elle m'aime, ou je ne sais quoi.
La laisser venir. Rendre possible qu'elle vienne. Ne rien refermer. Mais ne pas sortir du bois le premier. Ne pas courir le risque du ridicule.
Merde, je bande. Tellement rare, l'ambiguïté, dans ma vie. Mon corps, tout étonné d'être en ambiguïté... Qu'est-ce que je fais ? Il faut que je me la cale dans l'élastique du caleçon. Ou pas. Ce n'est peut-être pas grave. Si elle le voit, je veux dire. Soit ça la fera fuir, soit ça la fera venir. C'est peut-être plus simple que de causer. Le plus probable étant qu'elle ne le voit pas.
Faut-il que je sois exilé de l'ambiguïté, tout de même, pour qu'un tel rien me fasse réagir...
Dépêche Louis, sors ces putains de glaçons. La laisse pas refroidir.
...
Dommage... Qu'est-ce que je voulais dire déjà, avec ce dommage ?
(Il revient vers elle)
Voilà ton verre. À la tienne ma chère.
GÉRALDINE
À la tienne. Tu les as bien servis, non ?
LOUIS
Pas plus que ceux d'avant. À peine plus.
GÉRALDINE
Il faut que je fasse attention quand j'ai bu, moi. Je ne contrôle pas tout.
LOUIS
Ce que tu dis, ou ce que tu fais ?
GÉRALDINE
Les deux. Je devrais arrêter de le dire d'ailleurs. Enfin toi, ça va, mais je l'ai un peu trop dit à des mecs, que je ne contrôlais pas tout quand j'avais bu. L'autre jour, un ami vient à la maison avec trois bouteilles. Ça m'a gênée, je sentais qu'il comptait un peu sur les bouteilles.
LOUIS
Vous les avez bues ?
GÉRALDINE
Oui.
LOUIS
Et... tu ne t'es pas contrôlée ?
GÉRALDINE
C'est un mauvais exemple. J'en avais envie autant que lui. On n'a pas attendu la fin de la première bouteille.
LOUIS
Qu'est-ce qui t'a gênée alors ?
GÉRALDINE
Je confie à un type que quand j'ai vraiment trop bu, je pourrais faire l'amour à n'importe qui, et lui s'empresse d'essayer d'en profiter. Bon, il se trouve qu'en l'occurrence, avec lui, ça ne me dérangeait pas plus que ça, mais je veux dire, ce n'est pas très élégant.
LOUIS
On va arrêter de boire alors, peut-être.
GÉRALDINE
Je te dégoûte tant que ça ?
LOUIS
Non, bien sûr que non. Je plaisantais.
GÉRALDINE
Moi aussi je plaisantais. De toute façon, avec trois portos, on est quand-même loin de mon seuil.
...
C'est très bizarre de parler de ça avec vous.
Tiens, j'ai envie de dire vous, pour le coup, comme pour mieux mesurer la bizarrerie du truc. Très bizarre d'être en train de parler de sexualité avec vous, mon directeur.
LOUIS
De thèse, oui, pas de conscience.
GÉRALDINE
Pardon ?
(...)