Un couple stérile parvient à concevoir un enfant grâce à la médecine. Mais la dénommée Eugénie se révèle être un embryon à risque. L’heure est au choix : doit-on permettre à Eugénie de voir ou non le jour ?...
À travers un récit fantastique qui fait s’incarner les fantasmes, une fable sur nos peurs conscientes et inconscientes face à l’angoisse de l’anormalité. Un théâtre du jeu qui interroge notre société à l’endroit de ses débats irrésolus.
extrait :
- POUPÉE COROLLE -
SARAH. Tiens, une poupée.
EUGÉNIE. Comme elle est belle ! C’est le plus bel objet que j’ai jamais vu… elle est toute douce, elle me regarde avec des grands yeux bleus. Elle ferme les yeux quand on l’allonge. Comme elle est… Oh ! Merci ! Merci ! C’est à moi ?
SAM. Oui. Un cadeau de bienvenue, un peu en avance.
EUGÉNIE. C’est formidable d’avoir quelque chose à soi, de l’avoir dans ses mains. C’est formidable de le prendre, et de se dire : “c’est à moi !”
SAM. Regarde… Si tu appuies derrière sa tête… (La poupée imite les pleurs d’un nourrisson.)
EUGÉNIE. Elle… elle pleure… Je peux la consoler… Qu’est-ce qui t’arrive, mon bébé ? Elle est triste… qu’est-ce qui a bien pu lui arriver ? Pourquoi est-elle si triste ?
SARAH. Je ne sais pas… peut être qu’elle fait ses dents, ou bien qu’elle a faim. Tu vas devoir lui donner un biberon. Ça pourrait peut-être la consoler ?
EUGÉNIE. J’espère qu’elle n’est pas malade. Une maladie grave, une maladie terrible. Cela me rendrait très triste, si elle était atteinte d’une telle maladie.
SAM. Il n’y a aucune raison qu’elle soit malade, c’est une poupée corolle, une poupée de très bonne qualité, garantie sans maladie.
EUGÉNIE. Mais pourquoi est-ce qu’elle pleure ?
SARAH. C’est comme ça, les nourrissons pleurent. Tu verras, quand tu seras un nourrisson, tu pleureras comme ça. Parce que les bébés ne savent pas s’exprimer avec des mots, alors ils pleurent… C’est comme ça.
EUGÉNIE. Ils pleurent parce qu’ils ne peuvent pas parler ?
SARAH. Non, ils pleurent parce c’est leur moyen d’expression. Ils essayent de dire quelque chose.
EUGÉNIE. S’ils sont malades, ils ne peuvent pas le dire ?
SAM. S’ils sont malades, ils pleurent. Mais pourquoi veux-tu qu’elle soit malade ?
EUGÉNIE. Je ne sais pas. Je suis inquiète de la voir pleurer.
SARAH. Il n’y a aucune raison pour qu’elle tombe malade. Si tu t’occupes bien d’elle, elle sera en pleine santé. Il faut y faire attention comme à la prunelle de tes yeux. Parce qu’un enfant, c’est la prunelle de tes yeux. Regarde comme elle est belle ! Regarde, tu peux la dorloter, l’embrasser, la serrer très fort contre toi, tu peux la bercer, lui chanter des berceuses. Tu peux l’aimer plus que tout. Elle fredonne une berceuse.
— ÉCHOGRAPHIE suite —
DOCTEUR. On s’arrête là… Si vous permettez, j’ai quelques vérifications à faire.
SARAH. Qu’est-ce qu’il se passe ?
DOCTEUR. Rien… des vérifications. Des mesures à prendre.
— POUPÉE COROLLE 2 —
EUGÉNIE. (Dépitée.) Elle est cassée ! Elle ne marche pas ! C’est une poupée défectueuse. Je l’ai lavée, je l’ai bercée, je l’ai langée, c’était comme la prunelle de mes yeux. Mais c’est une poupée de mauvaise qualité. Quand on appuie sur la tête, voilà ce que ça fait ! (Son de pleurs stridents, mêlés d’aboiement.) Elle pleure sans arrêt, parce que son ventre lui fait mal ! C’est parce que la mousse n’est pas bien mise, la mousse de son ventre est à l’envers. Et la tête lui fait mal, et elle ne dort plus, tellement la tête lui fait mal ! Il y a de la mousse qui lui est rentrée dans la tête ! Regarde ses jambes ! Regarde ses jambes ! Elles ne font pas la même taille, elle ne pourra jamais marcher ! Il est cassé ce jouet ! Il est cassé ! Il n’est pas beau du tout ! Je veux l’échanger contre un jouet en parfait état ! Celui-là boîte, il est tordu. (Elle la jette par terre.) Je ne voulais pas qu’elle soit malade. Je ne voulais pas qu’elle pleure. Pourquoi les bébés sont-ils tristes et malades ?
— CONSULTATION 2 —
DOCTEUR. (Il ramasse la poupée corolle. Silence.) En effet, elle est défectueuse, un défaut de fabrication… la mousse est mal placée, la mousse doit être de mauvaise qualité. Statistiquement, on a peu de chance de pouvoir la réparer. Regardez-moi ça, c’est du travail de sagouin. Au prix qu’on achète ça… vraiment… Vous connaissez la règle ? Vous avez jusqu’à une semaine avant terme pour la faire marcher la garantie, et la rendre au magasin. Ne faites pas confiance au service après-vente, ça ne fonctionne pas ces services-là. Je vous conseille de ne pas trop attendre, vous serez mieux avec une neuve. (Silence.) On prend rendez-vous ? (Silence.) Vous voulez qu’on prenne rendez-vous ? (Silence.) Je vais prendre mon agenda.
SARAH. (Bas.) Qu’est-ce qui se passe ?
SAM. (Bas.) Je ne sais pas…
SARAH. (Bas.) Qu’est-ce qui se passe ? Je n’ai pas compris ce qu’il disait.
SAM. (Bas.) Je n’ai pas compris non plus.
SARAH. (Bas.) J’ai froid.
SAM. (Bas.) Moi aussi.
SARAH. (Bas.) Je me sens comme de la pierre.
SAM. (Bas.) Je n’ai rien compris à ce qu’il disait.
SARAH. (Bas.) Rentrons à la maison.
SAM. (Bas.) C’est ça, oui, rentrons.