Côme de Bellescize : “Tout brûle so what ?”

Plénipotentiaire mais aimant, le père va fêter ses 60 ans. Pour toute la famille, il est le  guide, le prêtre et le banquier. Mais, alors qu'il a rendu sa femme et ses enfants dépendants de son argent, les dettes s'accumulent. La ruine est proche. Le père ne se démontera pas pour autant : tout brûle, et après ?

Une comédie folle et acide sur le patriarcat et le pouvoir de l’argent, dans un monde accumulant dettes et désastres au nez des nouvelles générations.

 

Extrait : 

 

I.

Dîner d’anniversaire. En famille.

(...)

*

LE PÈRE — J’ai trop réussi, Catherine. J’ai trop gagné. Cela me fait peur, la vie m’a trop souri. Je me suis trop amusé, j’en ai trop joui.

CATHERINE — Ça suffit.

LE PÈRE — L’amour… tu comprends ? J’en ai tellement reçu. Est-ce que je pourrais en donner autant que j’en ai gagné ?

CATHERINE — Arrête.

 

*

Dimitri prend une photo de la famille et la poste sur les réseaux sociaux : #60yearsbirthdayparty # happyfamily.

 

*

DIMITRI — C’est une plateforme de rencontre.

CATHERINE — Mais tu les vois en vrai ?

DIMITRI — Tu sélectionnes les profils qui t’intéressent, l’application transmet l’information aux profils concernés qui acceptent ou non de rentrer en contact. A partir du moment où l’intérêt est réciproque, tu peux commencer à communiquer. Et prendre rendez-vous, le cas échéant.

 

*

TIGER — Oui, c’est mon job, mais ce n’est pas immoral, comme vous avez tous l’air de le penser avec vos logiciels bien pensants de gauche de merde. Il me fait chier avec ses postures de procureur de salon.

DIMITRI — Je t’accuse de rien du tout, je m’interroge sur un cas qui me paraît symptomatique d’un système.

 

*

LE PÈRE — Je ne peux pas arrêter. Je pourrais parler d’amour même si je perdais la voix, l’amour est un langage qui se passe de mots. Catherine, est-ce que je vous mérite ? Est-ce que je mérite d’avoir tant d’amour à donner ?

 

*

CATHERINE — C’est pas très romantique.

DIMITRI — Ça peut l’être… si tu veux.

CATHERINE — Et tu en rencontres beaucoup, comme ça ?

DIMITRI — Régulièrement.

CATHERINE — Ça veut dire que ça ne dure jamais ?

DIMITRI — Il faut trouver la bonne personne.

 

*

TIGER — Tu n’as pas besoin de lui.

ANTOINE — C’est trop con de laisser passer les opportunités.

TIGER — On n’en a déjà parlé cent fois, je ne veux pas lui être redevable.

ANTOINE — Putain…

TIGER — C’est un piège.

ANTOINE — Il fait ça pour aider.

TIGER — Il t’aide pour pouvoir me tenir, il t’aide pour t’utiliser, il t’aide pour te vassaliser.

 

*

LE PÈRE — Raconte ton boulot.

DIMITRI — Je m’ennuie.

LE PÈRE — Tu es une merde, Dimi. Une vraie merde. Un type doué comme toi n’a pas le droit de s’ennuyer au boulot. Si tu t’ennuies, c’est que tu es une merde !

DIMITRI — Je suis une merde…

LE PÈRE — Dim, j’ai financé ta structure, je t’ai payé des bureaux, tu n’as pas de loyer à payer, je ne te demande aucun compte… La stratégie numérique, c’est l’avenir, Dim. Toutes les boites cherchent des cracks pour les conseiller.

 

*

CATHERINE — On pourrait essayer d’avoir une conversation tenue ?

 

*

ANTOINE — T’es parano.

TIGER — C’est ma famille ! Mes relations toxiques ! Mes comptes à régler !

ANTOINE — C’est absurde, bordel, de ne pas saisir les mains qui se tendent.

TIGER — Tu n’as pas besoin de lui pour réussir.

ANTOINE — Mais il peut me le faire rencontrer, c’est tout ! Ce n’est pas du népotisme, ce n’est pas du paternalisme… Si ça débouche, je ne lui devrai rien !

 

*

DIMITRI — Les gens n’ont aucune imagination, aucun goût pour le risque. Papa, toi, tu es une exception dans le monde du business. Mais, les gens ne veulent acheter que ce qu’ils connaissent...

 

*

CATHERINE — Bon… c’est lancé, on n’a qu’à commencer.

 

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