Henri Astier : “Domenaque”

Lors de la Coupe Impériale de Podosphère, en Cyrénaïque, les joueurs menés par la capitaine Gavrax, avec entre autres Amelkas, décident de perdre le match pour porter préjudice à leur entraîneur Domenaque. Celui-ci, sur le point de démissionner, leur pardonne mais le président Verholles ne l’entend pas ainsi… 

L’épopée en alexandrins d’une débâcle nationale, ou la tragédie pastiche d’un héros pitoyable, un objet inclassable qui surprend par sa densité, sa force de point de vue et sa maîtrise espiègle du vers.

extrait :

SCÈNE I: CORTEX, AMELKAS, RUBÉRIX, PLANUS, MALHUREIL, FAYOT, MAX, FÉLIX, AUBRAX, AUTRES JOUEURS 

MALHUREIL 

Qu'est-ce qu'ils nous ont mis! Ils sont bons, ces Aztèques. 

CORTEX 

Je soulignerais moins leurs vertus intrinsèques 
Et plus la nullité de nos propres efforts. 

MALHUREIL 

Mais si nous fûmes nuls c’est parce qu’ils sont forts. 

CORTEX 

Je te dis, Malhureil, que c’est tout le contraire. 

AMELKAS 

Cortex a bien raison: à l'avant, à l'arrière, 
En milieu de terrain, nous avons tous conchié 
Le fier maillot gaulois que l'on nous a confié. 
Tes passes, Rubérix, furent toutes horribles; 
Malhureil, tu t'es pris les pinceaux dans tes dribbles; 
À troubler ta défense, Aubrax, piètre gardien, 
Tu mis bien plus de coeur que l'avant-centre indien;
Et Max, tu n'as pas su tenir sur tes guibolles: 
C'est à se demander quel poison tu picoles! 
Le seul qui parmi nous n’ait souillé le blason, 
C'est Félix qu'une entorse éloigne du gazon. 

(FÉLIX lève sa béquille en triomphe, acclamé par ses pairs) 

Même le grand Gavrax n'a pas touché sa bille: 
Tout le public gaulois criait: "Qu'il se rhabille!" 

(Rires

AUTRE JOUEUR 

C’est vrai. 

AMELKAS 

Mais le plus nul d’entre tous fut, ma foi... 

TOUS LES JOUEURS (désignant FAYOT, assis dans son coin

Fayot! Fayot! 

AMELKAS 

Pardon! Le plus nul, ce fut moi! 
(
Rires
À deux pas des filets, j’ai tiré sur la barre! 
(
Hilarité redoublée

PLANUS 

Ton orgueil d’attaquant, cher Amelkas, t’égare. 
Tu m’as souvent fait voir, en très juste censeur, 
Que les pires loupés sont ceux du défenseur. 
Le but est de ma faute, aussi je revendique 
L’insigne distinction du joueur le plus merdique. 

(Applaudissements

AMELKAS 

On ne peut décerner ce titre à la mi-temps, 
Jeune présomptueux. 

CORTEX 

C’est vrai, Planus: attends! 
Je peux en trois quarts d’heure accomplir des ravages... 

AUTRE JOUEUR 

Et Fayot mettre deux ou trois buts dans nos cages.

TOUS (désignant de nouveau FAYOT

Fayot! Fayot! 

MALHUREIL 

Levons notre masque rieur 
Et déclarons tout net l’ennemi supérieur: 
C’est mettre à nos talents une valeur bien basse 
Que de sous-estimer celui qui les surpasse.

(…)

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