Chili, automne 2019. Des années après la chute de Pinochet, les cicatrices ne sont pas refermées. Mario et Paula, 8 et 12 ans, cherchent leur père disparu depuis des mois. Ils rencontrent pour cela la vieille Olivia réputée pour son don de voyance. Paola découvre alors qu’elle-même possède le don de voir non pas l’avenir mais le passé et les esprits des morts…
- Une dramaturgie foisonnante, entremêlant destins fictifs et matériaux documentaires, pour interroger les fantômes et les espoirs d’une société en pleine mutation.
CHEZ OLIVIA
Sur le pas de la porte.
(...)
PAULA- Vous êtes une voyante?
OLIVIA, rit- Je devrais donc savoir pourquoi t’es là ? Ben j’en sais rien. Tu rentres et tu m’expliques ou tu rentres pas mais moi si. Alors ?
PAULA- Je rentre.
OLIVIA- Suis-moi. (Elles entrent) C’est pas un palace mais c’est chez moi et j’y suis bien. Assieds-toi.
PAULA- Je préfère pas.
OLIVIA- Comme ça te chante. Moi je m’assieds et je bois un coup. (Elle se sert un verre) T’en veux?
PAULA- Non merci.
OLIVIA- T’es polie c’est déjà pas si mal. Bon, qu’est ce qui t’amène ?
PAULA- Je veux savoir où est mon père.
OLIVIA- Ah. (Temps) Mais peut-être que lui ne veut pas qu’on sache où il est.
PAULA- Pourquoi vous dites ça ?
OLIVIA- L’expérience. (Temps) Qui t’a parlé de moi ?
PAULA- Des bruits qui courent.
OLIVIA- Ils disent quoi ces bruits ?
PAULA- Vous voyez des choses.
OLIVIA- Mais encore ?
PAULA- Vous êtes une sorcière.
OLIVIA, rit- Je vis seule, je suis vieille, je rends de comptes à personne. T’as pas peur ?
PAULA- Un peu.
OLIVIA- T’as pas froid aux yeux gamine, ça me plaît.
PAULA- Pour mon père, vous pouvez me dire ? Je peux payer.
OLIVIA- C’est pas si simple. Elle fait quoi ta mère ?
PAULA- Elle travaille. Elle pleure.
OLIVIA- Elle veut que ton père revienne ?
PAULA- On doit l’oublier elle dit.
OLIVIA- Il l’a quittée ?
PAULA- Il a disparu. Un jour il s’est volatilisé. C’est ce qu’elle dit. Mais même s’il l’avait quittée elle (c’est possible), jamais il nous aurait laissés Mario et moi.
OLIVIA- Mario ?
PAULA- Mon petit frère.
OLIVIA- Gamine, y’a des jours comme ça on n’a pas envie d’entendre ce qu’on va entendre. (Temps) Ton père il vous a quittés tous les trois. Il est parti voir ailleurs s’il y était. Il est tombé amoureux ou quelque chose. Il supportait pas la succession des jours, les mêmes têtes en face, il avait besoin d’air ou d’horizon. Il vous a laissés dans votre merdier et est parti respirer ailleurs. Ca arrive tu sais.
PAULA- Il nous aime.
OLIVIA- Ca n’empêche. Mais peut-être aussi qu’il vous aime pas tant que ça.
Temps.
PAULA- Elle est nulle votre voyance.
OLIVIA- La voyance non mais la réalité oui des fois elle est nulle.
PAULA- Il est où ?
OLIVIA- Loin.
PAULA- Mais où ?
OLIVIA- Il veut plus vous voir, à quoi ça sert de savoir ?
Temps.
PAULA- Je vous dois combien ?
OLIVIA- Garde tes pièces ou rends-les à ta mère.
PAULA- Il y en a une avec un trou. Vous pourrez vous faire un collier. (Elle pose les pièces sur la table puis fixe un point vers la fenêtre sale. Olivia examine la pièce trouée.) C’est qui la dame à la fenêtre ?
OLIVIA- Tu vois quelqu’un ?
PAULA- Pas vous ? (Olivia sourit) Je l’avais pas remarquée et tout à coup elle était là. (Temps) C’est qui ?
OLIVIA- Ma sœur.
PAULA- Vous vivez seule vous avez dit.
OLIVIA- Seule et pas seule ça dépend des moments. Qu’est ce qu’elle fait ?
PAULA- Elle regarde à travers les vitres en mangeant ses ongles. Elle guette on dirait. Elle attend.
OLIVIA, observe Paula- Oui ?
PAULA- Elle attend quoi ?
OLIVIA- A ton avis ?
PAULA, hésite- Quelqu’un qu’elle aime. Elle est inquiète. (Temps. Chuchote :) Ca se fait pas de parler d’elle comme si elle était pas là.
OLIVIA- Elle est pas vraiment là.
PAULA- Ca veut dire quoi ?
OLIVIA- Ce que ça dit. Là et pas là.
PAULA- Vous êtes bizarre madame.
OLIVIA- Alors toi aussi tu l’es.
PAULA- Pourquoi ?
OLIVIA- Parce que tu la vois.
(...)