Eddie vend du savon, des pianos, des cigarettes, ou plutôt il fait en sorte que les gens achètent. Eddie – alias Edward Bernays – est américain, neveu de Freud et inventeur des relations publiques. Il fait fortune quand partout c’est la crise, organise des coups d’Etat et conseille les puissants, ses ouvrages inspirent la propagande nazie mais Eddie est un démocrate...
Un théâtre épique et citoyen, tout en finesse et précision, pour évoquer la figure d’un des penseurs les plus influents du XXe siècle et questionner les fondements du modèle économique et politique occidental. Quand le conditionnement des esprits est érigé en système de gouvernement, que reste-t-il de la démocratie ?
extrait :
I. CONFÉRENCE 1. (1991)
QUESTION DE LA SALLE
Dites-nous alors, docteur, les Relations Publiques, c’est quoi ? On parle de quoi, là ?
BERNAYS
On parle d’un concept simple, c’est que les gens croiront davantage ce que je dis si vous m’appelez Docteur ! (Rires.) Premièrement, les Relations Publiques, on croit souvent que c’est de la publicité. Ce n’est pas de la publicité. Si vous avez cru que je venais pour vous vendre quelque chose, vous vous êtes trompés. (Rires)
Le publicitaire vend le Bien qui existe dans le produit. Moi, j’invente le Bien dans le produit ! Je dis : dans ce produit, il y a la santé, ou le progrès social, ou le changement, ou la liberté. J’agis directement sur la nature des choses, je leur confère des vertus. Et ainsi je modifie la perception qu’en a le public, vous saisissez ? Je ne dis pas aux gens ce qu’ils doivent penser, je modifie le contexte dans lequel l’Opinion Publique se forme.
QUESTION
Comme quand vous avez fait croire que le bacon and eggs était le petit-déjeuner typique des américains ?
BERNAYS
C’était inventé de toutes pièces, oui. Mon client voulait vendre son bacon.
QUESTION
Monsieur Bernays, vous avez toujours dit que le conseiller en Relations Publiques devait avoir une éthique…
BERNAYS
Oui, je n’ai jamais pris un client qui vendait de l’alcool, j’ai agi pour l’emploi en Amérique, j’ai lutté contre le racisme, contre le fascisme…
QUESTION
Vous avez aussi fait fumer les femmes en public !
BERNAYS
On ne savait pas à l’époque.
QUESTION
Et le coup d’État au Guatemala ?
BERNAYS
Écoutez, on ne peut pas juger quelqu’un pour des actes qu’il croyait justes à l’époque. J’ai malgré tout inventé un système que vous étudiez dans les universités du monde entier.
QUESTION
Vous avez quel âge, M.Bernays ?
BERNAYS
Appelez-moi Eddie.
QUESTION
Vous avez quel âge, Eddie ?
BERNAYS
J’ai 100 ans dans un mois.
CHŒUR
Bravo !
QUESTION
Quel est le secret de votre longévité, Eddie ?
BERNAYS
J’embrasse toujours les femmes sur la bouche ! (Rires.)
Bon, mais ce que je voulais dire : La manipulation des opinions et des habitudes des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays.
QUESTION
Eddie ! « gouvernement invisible », ça choque un peu… Quelle est la différence alors, entre dictature et démocratie ?
BERNAYS
La différence ? Vous plongez une grenouille dans l’eau bouillante : elle saute pour s’échapper de la casserole. Vous la plongez dans l’eau froide, vous réchauffez doucement, elle ne s’en rend pas compte et elle se laisse bouillir.