Julien Mabiala Bissila : «  Au nom du Père, du Fils et de J.M. Weston » 

Deux frères, dans les décombres de la guerre civile qui a ravagé leur pays, partent à la recherche du trésor enfoui avant la débandade : une paire de JM Weston, indispensable emblème de leur passé de « sapeur »… 

Une quête menée tambour battant par deux narrateurs/acteurs au verbe virtuose pour dire les horreurs d’une guerre sans merci et chanter la culture de la « sape », ultime rempart contre la barbarie ; une écriture au souffle étonnant.

extrait :

Cross : Le pasteur Toutou connaissait la bible comme les poches de son pantalon. Il a réécrit l’apocalypse de A à Z sur un papier d’emballage de ciment.

Le pasteur Toutou profita donc de pasteuriser la situation.

Ma mère pouvait alors brouter son acte de décès.

 

Criss : Ok ! De vrais tueurs publics, ces enfants aux sourires corrosifs.

Ils ont emporté la tête de ma mère qui continuait à réciter des versets bibliques

Et depuis on est restés sans nouvelles.

 

Cross : Sans nouvelles ? Sans blague ! Nous avons cherché la fameuse tête partout

On nous a dit d’aller voir du côté du régiment blindé

Demander aux bérets verts s’ils n’avaient pas vu la tête de ma mère.

 

Criss : Et nous avons quitté le pays.

 

Cross : Non ! Nous sommes partis jusqu’au palais de la justice

Fouiller les caves de la police. Pas de tête qui chante

Un colonel de l’armée du salut nous a dit de passer au musée de la honte.

 

Criss : On arrête ! C’est pas du tout amusant.

Conclusion : on a rien trouvé, puis on a quitté le pays.

 

Cross : Bien sûr qu’on a trouvé !

 

Criss : A quoi tu joues ?

 

Cross : C’est dans ce musée que se trouvait la gentille tête de ma mère posée sur un support marbré. C’était cruellement beau, la déco. L’intérieur, impressionnant ! Luxe insolent.

Des fleurs digitales qui libèrent de l’oxygène parfumé pour oxygéner les morts.

Des vieux os d’explorateurs en plastique, symbole de la bêtise humaine placée au sous-sol.

Des tableaux peints avec du sang humain. Quatre millions de têtes tristes et souriantes.

Rangées derrière des vitres de luxe scintillantes. Rayonnant comme une éjaculation tardive.

Toute la fierté du pays quoi ! Mais c’était quand même la tête de ma mère !

Le musée national, moi je vous emmerde. Remettez-moi la tête de ma mère.

N’avez-vous pas honte ? Cette tête n’est pas à vendre !

 

Criss : Ok maintenant, ça suffit, on se casse.

 

Cross : C’est impossible de récupérer la tête de votre mère, me dit le gardien du musée.

Pourquoi ?

Parce que c’est classé comme patrimoine national.

Patrimoine national depuis quand monsieur le gardien ?

Depuis le coup de tête national.

Et pourquoi votre tête plate à vous, n’est pas classée comme patrimoine national ?

Parce que ma tête à moi récite encore les versets du guide national.

Et si je vous mordais à la gorge monsieur le gardien ?

Là vous cherchez des problèmes, jeune homme, des problèmes qui ne vous ont pas du tout cherché....

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