Vincent Farasse : «  Mon oncle est reporter » 

Tous les jours, il prend le Thalys de Lille, où il vit avec sa femme, jusqu’à Bruxelles, où il travaille pour une administration européenne. Dans le train, il rencontre une femme en pleurs ; tous deux se lient d’amour et s’installent dans une relation, jusqu’au jour du choix… 

Un regard âpre et juste sur le cœur froid de notre société, où des individus seuls et désenchantés circulent, se rencontrent et tentent de faire preuve de libre arbitre. Une pièce dense, sombre et émouvante, à l’écriture économe, tissée de non-dits et de silences éloquents

extrait :

Camille, Delphine. 

CAMILLE : Ca n’avait pas d’importance pour moi. Nous étions ensemble depuis sept ans. J’étais heureux avec elle. J’étais sûr de mes sentiments. Sûr des siens. Nous habitions ensemble. Je n’avais pas besoin de plus. Moi je ne me serais pas marié. Je voyais le mariage comme une garantie. Une sorte de contrat. C’est ça d’ailleurs, un contrat de mariage. Et je ne sais pas, j’ai toujours eu l’impression qu’un contrat, quel qu’il soit, était un acte de méfiance. Je n’avais pas besoin de contrat. Je n’en avais pas besoin.

DELPHINE : Et donc ?

CAMILLE : Pour elle c’était très important. Sa famille est catholique. Ca avait de l’importance pour elle. Je ne sais pas si elle est croyante mais elle a été élevée avec un certain sens du rituel. Moi j’ai eu une éducation complètement déritualisée. J’ai toujours regardé ce genre de chose avec un petit sourire vous savez, un peu libre penseur. Mais pour elle ça avait du sens, beaucoup de sens. C’était très important. Et comme pour moi ça ne l’était pas, j’ai fini par dire oui. Et là...

DELPHINE : Oui ?

CAMILLE : Ca a été très étrange. Je me réjouissais surtout à l’idée d’une grande fête avec la famille, les amis, je pensais plutôt à la rigolade et au bon repas qu’à la cérémonie, je m’attendais à la passer tranquillement, comme ça, comme une formalité.

DELPHINE : Ce n’est pas ce qui s’est passé ?

CAMILLE : Quand je me suis avancé vers l’autel, c’était ma mère qui me donnait le bras, et elle je sais ce qu’elle en pense aussi, des rituels, la religion, tout ça, je savais qu’elle aussi avait un petit sourire en coin... Mais au moment du rituel, au moment où nous avons échangé nos bagues, au moment où nous avons été unis... J’ai fondu en larmes. Mais pas des larmes discrètes qui coulent comme ça quand on est un peu ému, non. J’ai éclaté en sanglots et j’ai pleuré, pleuré comme jamais je n’avais pleuré. Des sanglots qui venaient de loin, de très loin. De la poitrine, du ventre. Je n’avais jamais ressenti ça. Elle aussi s’est mise à pleurer. A pleurer fort, très fort. Et j’ai eu l’impression que d’autres gens commençaient à pleurer derrière nous. Nos pleurs étaient tellement profonds qu’ils se communiquaient. Et à ce moment-là, j’ai senti que quelque chose s’unissait entre nous deux. Quelque chose s’unissait dans nos corps, dans nos émotions. Quelque chose de très fort. Je ne suis pas croyant, mais ce jour-là, j’ai senti ce que ça signifiait, les liens sacrés du mariage.

DELPHINE : Je ne suis pas mariée.

Silence.

Chez Adèle et Camille.

CAMILLE : J’ai rencontré une fille. Dans le train.

 ADELE : Ah oui ?

 CAMILLE : Oui.

Un temps

ADELE : Qu’est-ce qu’elle faisait ?

CAMILLE : Elle pleurait. (un temps) Elle était assise juste en face de moi dans le carré. J’étais en train de travailler. Elle a éclaté en sanglots. Je préparais mes rendez-vous pour la semaine je faisais semblant de ne rien remarquer. Mais elle continuait, elle continuait de pleurer. Elle collait son visage contre la vitre. Elle pleurait très fort. Je n’avais pas du tout envie d’entrer en discussion j’espérais qu’elle se calme. Ou que quelqu’un d’autre intervienne. Mais elle ne s’est pas calmée. Et personne n’est intervenu. C’est moi qui étais placé là, juste devant elle, et ils devaient penser que si quelqu’un intervenait, ce serait moi.

ADELE : Qu’est-ce que tu as fait ?

CAMILLE : Rien du tout. J’ai fermé mon ordinateur, j’ai compris que je ne travaillerais pas. Je lui ai demandé si ça allait, je ne voyais pas quoi faire d’autre. Elle a répondu oui, et elle a pleuré encore plus. Elle pleurait tellement que son corps était comme secoué de convulsions. Alors j’ai posé ma main sur son bras et je lui ai parlé.

ADELE : Qu’est-ce que tu lui as dit ?

CAMILLE : Rien. Des choses qu’on dit pour calmer les gens.

ADELE : Ca a marché ?

CAMILLE : Un peu. Très peu. Pas du tout. Un peu parce que ça a du la distraire mais... De toute façon le train est arrivé, nous sommes descendus. (silence) Elle pleurait encore quand nous sommes descendus.

ADELE : Et puis ?

CAMILLE : Et puis rien. Je lui ai dit au revoir, elle m’a remercié, je suis parti...

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