Le chant de dessous les îles de Mélissa Bertrand

Petit Soleil se demande quel est ce chant qui résonne parfois le matin. Il demande à sa mère, Étoile de Ciel, à sa tante, Étoile de Mer, et à sa Mamie-Luciole de lui raconter l’histoire de la famille. On lui apprend qu'avant sa naissance, dans une maison-coquillage, tout a basculé quand Papi-poulpe attrapa la maladie de l'encre-noire...


Une fable poétique pour parler aux enfants du deuil et de la maladie. Une cosmogonie entre ciel et mer où Petit Soleil apprendra le cycle de la vie.


Extrait :


(…)

Non loin d’un archipel, à l’horizon, la nuit pâlit.
Une luciole flotte sur les vagues.
On entend un chant marin remonter de dessous les îles.

MAMIE-LUCIOLE, tendant l’oreille, s’adressant au chant : Ah, tu es là ce matin.

Mamie-Luciole fredonne avec le chant.

MAMIE-LUCIOLE : Petit Soleil s’apprête à se lever, mon amour.
A-t-il déjà entendu son Papi-Poulpe chanter ?
Je me souviens, quand nous nous sommes installés
Dans notre première maison – la maison-huître que j’aimais tant –
Toujours tu chantais :
« Il est un endroit où le ciel et la mer se prennent dans les bras
Et cet endroit, c’est chez toi, chez moi.
De toi, de moi mélangés, naîtront deux belles étoiles
Étoile de ciel et Étoile de mer
Ensemble, nous ferons famille-constellation »

ÉTOILE DE CIEL et ÉTOILE DE MER, en miroir l’une de l’autre : « Il est un endroit où le ciel et la mer se prennent dans les bras
Et cet endroit, c’est chez toi, chez moi.
Lavons chaque jour terminé dans la marée
Accrochons au cœur de la mer des lumières ».

Mamie-Luciole rit.

MAMIE-LUCIOLE : Vous l’avez entendu, vous aussi,
Le Chant de dessous les îles.
Elles écoutent puis, toutes ensemble, fredonnent le même air.

PETIT SOLEIL, s’éveillant, moitié dans l’eau, moitié dans le ciel : Vous en faites du bruit !

ÉTOILE DE CIEL : Bonjour mon cœur, mon Petit Soleil.

PETIT SOLEIL : Vous m’avez réveillé.e,
J’étais en train de rêver…
Qu’est-ce que vous chantez ?

ÉTOILE DE CIEL : La chanson de Papi-Poulpe.

ÉTOILE DE MER : Le Chant de dessous les îles.

PETIT SOLEIL : C’est quoi cette chanson ?

ÉTOILE DE CIEL : Referme les yeux, Petit Soleil, et écoute.

ÉTOILE DE MER : Tu entends ?

PETIT SOLEIL : Je ferme les yeux forts mais j’entends rien.

ÉTOILE DE CIEL : Écoute mieux.

PETIT SOLEIL : J’entends un peu les vagues qui roulent-boulent sur le sable chaud qui roule- boule lui aussi, là-bas, vers les îles, et ici, sous la mer.
Mais c’est tout. Rien de plus.
Si ça chantait j’entendrais.

MAMIE-LUCIOLE : Écoute avec ton cœur, ça marchera mieux, Petit Soleil.

PETIT SOLEIL : Mais Petit Soleil en a marre d’être Petit Soleil. Je veux être Grand Soleil. On m’explique jamais rien à moi et je dois tout savoir comment faire pour mettre des oreilles sur mon cœur.

ÉTOILE DE CIEL : Qu’est-ce que tu aimerais comprendre qu’on ne t’explique pas ?

PETIT SOLEIL : Je voudrais savoir d’où je viens, pourquoi j’ai la tête dans le ciel et les pieds dans l’eau, pourquoi Mamie-Luciole fredonne certains matins, pourquoi il y a des chants que je n’arrive pas à entendre, et pourquoi il y a un Papi-Poulpe qui n’a jamais pointé le bout de ses tentacules pour chatouiller mes rayons ou peigner mon aube.

ÉTOILE DE MER : On pourrait peut-être lui raconter, à ce grand Petit Soleil, non ?

ÉTOILE DE CIEL : Mon enfant, tu peux savoir mais c’est une histoire bien noire pour un si joli matin…

PETIT SOLEIL : Noire comme… la peur dans le ventre quand il faut aller faire pipi la nuit et que toutes les étoiles sont endormies ?

ÉTOILE DE MER : Plus noire encore.

PETIT SOLEIL : Noire comme… l’orage qui cache ma lumière lors des vilaines journées d’hiver ?

MAMIE-LUCIOLE : Non.
C’est juste une histoire noire, toute noire, noire comme le noir. Un noir liquide, un noir brillant.

PETIT SOLEIL : Je vais avoir peur ?

ÉTOILE DE MER : Non, tu auras peut-être un peu le cœur mou,

Mais tu ne devrais pas avoir peur
Parce qu’au fin fond du noir,
Au bout des boyaux de l’univers,
Naissent toujours de belles étoiles.


(…)

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