Lève-toi AWRAS d’Anne-Christine Tinel

Idir est le fils d’une famille algérienne d’intellectuels exilée en France en pleine décennie noire. Il vit sa double nationalité comme une déchirure, alors que ses sœurs sont des modèles d’intégration. Se liant avec des dealers il sombre dans la délinquance. Après plusieurs séjours en prison, sa révolte se transforme en psychose, il est alors soupçonné de radicalisation.

Le parcours édifiant d’un adolescent tourmenté que l’institution judiciaire et médicale transformera en paria. Le portrait trouble d’une France ne parvenant pas à apaiser son histoire algérienne.




Extrait


(…)

Lyon, 3° arrondissement, novembre 2004, chez les Sanhadji, appartement cossu, présence de livres.

LA MERE – L’Algérie, toujours l’Algérie. Depuis l’été dernier tu n’as que ça à la bouche, l’Algérie.

IDIR – Et alors ?

LA MERE – On dirait que tu ne t’intéresses pas à la France.

Tes sœurs aiment la France. Leila, avec ses économies une fois par trimestre elle prend le TGV, elle écume les galeries d’exposition. Celle-ci, elle est incollable ! Tes sœurs sont très françaises.

IDIR – Tant mieux pour elle, et toi sois contente !

LA MERE – Bien sûr que je suis contente ! Pour mes enfants je veux le meilleur .

IDIR – Le meilleur c’est la France ?

LA MERE – Ne sois pas chatouilleux comme ça ! Le français c’est important. Aux réunions de parents les professeurs me complimentent. Chaque année ils le disent, pour chacun, que vous travaillez bien. Toi surtout, je ne voulais pas te le dire pour que tu ne fasses pas ton malin, mais ta prof de français, tu sais ce qu’elle m’a dit ? « Idir écrit à la perfection » La perfection ! C’est du jamais vu ! Elle a ajouté qu’en sortant du collège, certains élèves ne trouvent même pas le verbe dans la phrase. C’est incroyable. Toi, les « s », « ent », toujours tu y penses ; madame Lorraine dit que tu te relis bien ; tu te concentres. C’est la clef !

IDIR – Ouais c’est vrai, pour un arabe je me concentre bien.

LA MERE – Idir qu’est-ce que tu vas chercher !

IDIR – J’ai beau être arabe, l’arabe je le parle même pas ! C’est vrai quoi, dans cette maison on dirait que l’arabe c’est hram !

LA MERE – L’arabe c’est péché ?! Ce qu’il ne faut pas entendre !

IDIR – Tu m’as parlé Algérien déjà ? Quand ?

LA MERE – L’Algérien c’est un dialecte.

IDIR – Et alors ?

LA MERE – Ça ne s’écrit pas.

IDIR – Ça se parle pas ?

LA MERE – Ça se parle, avec un mot sur trois en français !

IDIR – Pourquoi on ne le parle jamais ?

LA MERE – Tu parles algérien, à quoi ça sert dans la vie ? Qui c’est qui le parle, l’algérien?

IDIR – Et vous ? Même pas quand vous êtes tous seuls vous le parlez. Pourquoi vous ne le parlez pas l’algérien ?

LA MERE – L’Algérien ton père c’est pas sa vraie langue, sa langue maternelle c’est le kabyle.

Moi le kabyle je ne le parle pas, je ne suis pas kabyle. Lui et moi, c’est en français qu’on s’est rencontrés. Le français c’est notre langue à nous, tu comprends ?

IDIR – Et l’arabe alors ?

LA MERE – Quel arabe ? Y’en a des tas, des langues arabes.

IDIR – L’arabe de la télé ? Pourquoi on le parle pas ?

LA MERE – L’arabe de la télé personne ne le parle ! La bouche cousue ça s’écoute.

IDIR – Moi je le comprends pas !

LA MERE – Qu’est-ce que tu veux écouter en arabe à la télé ? Tout ce qu’ils disent, c’est de la propagande. C’est pire que Coca-cola ! De toutes façons, l’arabe de la télé est sans rapport avec l’Algérie.

IDIR – Et l’arabe du Coran ?


(…)

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