Mélodie vit seule avec son fils Bastille dans un petit appartement. Sami est mort d’une maladie auto-immune dégénérative et incurable. Mère et fils vivent avec ce fantôme.
Une dramaturgie de la réminiscence toute en méandres, comme un jeu d’illusions. Le récit poignant d’un deuil et d’une histoire d’amour tissée de combats : combats politiques, combat contre la maladie, combat contre l’oubli.
Extrait
(…)
L’enfant allume la radio. Musique.
Il pousse le volume à fond.
Mélodie : Baisse s’il te plaît. Baisse !
Bastille : On faisait comme ça.
Mélodie : Peut-être mais c’était insupportable.
Bastille : Moi j’aime bien.
Elle baisse
Mélodie : On est à table.
Bastille : Mais là on n’entend pas, on n’est pas dans le son.
Il remonte
Mélodie : Tu arrêtes j’ai dit ! On peut pas s’entendre on peut pas se parler, la musique ça s’écoute complètement, pas là en se faisant des tartines ! Ça sert à quoi ?
Bastille : Ben je sais pas à être - en rythme.
Mélodie : Arrête ça tout de suite.
Bastille : À se sentir banana-split !
La femme tape fort sur la table.
Ça fait peur à l’enfant.
Un temps.
Bastille : Avant t’aurais pas fait ça.
Mélodie : Pardon excuse-moi. Je vais faire du café. Viens m’aider.
Ils font du café.
Bastille : Tu vas retrouver un amoureux ?
Mélodie : J’espère.
Bastille : Alors moi je me suiciderai.
Mélodie : Faut pas dire ça. Ce serait bien pour moi.
Bastille : Pourquoi ?
Mélodie : Ben par exemple j’ai besoin d’un homme qui me dise que je suis banana-split -
Bastille : Moi je te le dis.
Mélodie : Qui me prend dans ses bras -
Bastille : Moi je le fais.
Mélodie : Qui m’embrasse sur la bouche -
Bastille : Beurk !
Mélodie : Un jour je retrouverai un amoureux, il faut que tu me souhaites ça.
Bastille : Non. Je partirai.
Mélodie : Arrête. Je l’aimerai jamais plus que toi tu sais ? Jamais personne plus que toi. Même pas mes parents. Même pas mes frères. C’est comme ça…
Bastille : Bon. Mais quand même si t’as un amoureux, je lui mettrai du scotch là et je lui arracherai les poils.
Mélodie : Et s’il a pas de poil ?
Bastille : Je lui mettrai des petits piquants dans les yeux… Et de la mayonnaise dans les oreilles.
Mélodie : Tu peux verser le café, vas-y. Fais attention !
Bastille : Ou plutôt du Wasabi dans le nez.
Mélodie : Arrête…
L’homme arrive, il se sert une tasse de café, le boit.
L’homme : Pouah c’est vraiment dégueulasse je sais pas comment tu fais pour boire ça !
Mélodie : C’est comme ça que je l’aime.
L’homme : Regarde, mon fils, je vais te montrer comment on fait du vrai café.
Mélodie : Il est pas plus vrai que le mien - c’est juste différent.
L’homme : N’écoute pas ta mère Bastille, le café c’est mon domaine.
Mélodie : Arrête de lui dire ça.
L’homme : D’abord il faut de la bonne musique. L’eau ne peut pas bouillir correctement sinon.
Mélodie : Sami, on n’a pas le temps, il a l’école ce matin.
Il monte le son à fond.
Sami : Ensuite on ferme les yeux. Voilà. Une fois qu’on a attrapé le rythme par le bout de la queue, on le lâche plus. Voilà ! On le met dans ses pieds comme ça. Super !
Mélodie : Arrête baisse c’est hyper fort !
Sami : Là… Dou-ce-ment. Voilà ! Le café bien amer comme l’amour et le sucre bien doux comme l’amour, un peu d’eau vitale comme l’amour et puis le feu le feu pour que tout ça entre en fusion !
Mélodie : ARRÊTE SAMI FAUT QU’ON GROUILLE MERDE !
Sami : Et ta mère ta mère qui grince qui grince mais que j’aime que j’aime d’amour…
L’enfant rit.
L’homme prend sa femme pour la faire danser.
(…