Un an après le suicide de sa fille Aurore à l’âge de 17 ans, une mère demande à une start-up fraîchement créée de la reconstituer en réalité virtuelle. Elle n'imagine pas à quel point cette initiative va bouleverser la vie de sa famille, ni qu'en nourrissant l'algorithme des traces laissées par sa fille, l’avatar d’Aurore finira par lui échapper complètement.
Une fable d’anticipation au cœur de notre future intimité pour nous alerter contre les dérives de l’intelligence artificielle quand celle-ci se préoccupe de faire revenir nos morts.
- Déni
Deux ans plus tôt.
1.
Dans un bureau, la mère et l’encadrant se font face.
La mère. – Ma poule.
Ma poulette.
Mon amour.
Mon trésor.
Mon bouchon.
Ma puce. Ma pucinette.
Ma beauté.
Ma louloutte.
L’encadrant, qui prenait des notes, lève la tête, pensant la liste finie. Mais la mère continue et
il se replonge dans ses notes.
Mon bébé.
Ma grenouille.
Tête de mule. Tête de linotte.
Ma toute p’tite fille.
Ma fille.
L’encadrant. – Et pour vous
La mère. – Le plus souvent : mamoune.
Souvent aussi : mamounette.
Parfois : mamaman.
Et quand elle est énervée contre moi : Nathalie Lucienne Colette Besson.
L’encadrant. – Est-ce qu’on lui associe un parfum ?
La mère. – Euh, je ne sais pas, je – est-ce qu’on lui met un parfum ? Elle ne mettait pas de parfum. Une odeur de shampoing peut-être. Celui qui sent la camomille.
L’encadrant. – C’est juste une option. Les odeurs, ça fait souvent beaucoup d’effet.
La mère. – Alors non. Pas tout de suite en tout cas.
L’encadrant. – Aucun problème, madame.
Les sens sont perturbés lors des séances. Il faut y être préparé.
Vous devrez choisir un décor aussi. Nous conseillons un lieu dans lequel vous vous sentez bien. Un endroit positif, où vous avez de beaux souvenirs. Une prairie, un sentier de randonnée. Quelque chose de beau mais de moins quotidien. Pas un lieu où vous continuez de vous rendre régulièrement. Nous déconseillons le lieu de vie par exemple.
Si on a une photo, c’est plus simple à reproduire. Vous verrez, le résultat est assez spectaculaire.
La mère. – On pourra le changer en fonction des sessions ?
L’encadrant. – Oui, mais cela entraînera un surcoût. En parlant de tarifs, à quelle formule aimeriez-vous souscrire ?
La mère. – Je vais prendre une session pour commencer.
L’encadrant. – Si je peux me permettre, je vous conseillerais plutôt la formule trois sessions.
Nos clients sont souvent déçus quand ils n’en prennent qu’une. Déjà parce qu’ils ont envie d’en voir plus. Et puis parce que la première session s’accompagne souvent de frustrations et de légers décalages que nous travaillons à améliorer pour les suivantes.
La mère. – Une session, c’est très bien pour commencer.
J’aurais bien pris plus mais je crois que ma banque ne serait pas d’accord avec moi.
Petit sourire complice entre la mère et l’encadrant.
L’héritage de maman, hop, dans ma fille !
L’encadrant retrouve son sérieux.
L’encadrant. – C’est un service haut-de-gamme, madame. Ce n’est pas donné à tout le monde.
(…)