Nathalie Brücher : “La Robertsau”

Jeanne et Philippe, la cinquantaine, sont en conflit avec leur fils. Le lien est rompu. Quand leur maison vient à exploser à cause d’une bonbonne de gaz, ils se surprennent à le soupçonner. Parallèlement, d’autres liens se tissent, entre Isabelle, une jeune femme, et son enfant à naître, et puis avec François, l’amant adultère, tous personnages dont les destins vont se croiser… 

Une écriture juste et sensible pour décrire la ronde des attachements, ceux qui se délitent, ceux qui s’embrasent, ceux qui perdurent. Une pièce dense et attachante.

extrait :

1. Dans le salon de Jeanne et Philippe 

Philippe lit, Jeanne tourne en rond. 

JEANNE : En ville ils l’ont vu. 

PHILIPPE : Ah. Alors il va venir. 

JEANNE : Peut-être, ce n’est pas sûr, ils ont pu confondre. 

PHILIPPE : … 

JEANNE : Oui. 

Moi je suis certaine qu’il est là, tout près. 
Je le sens, c’est comme de l’électricité dans l’air. 
D’ailleurs ça sent le gaz ; tu ne trouves pas que ça sent le gaz ?

PHILIPPE : Non. 

JEANNE : « Hé, je sens le gaz ou quoi ? » 

PHILIPPE : C’est pas le même gaz.

JEANNE : Tu crois ? 

PHILIPPE : Sûr. 

Un temps 

JEANNE : Tu crois qu’il pourrait être en ville et ne pas venir nous voir ? 

PHILIPPE : Oui, il pourrait. 

JEANNE : Et tu t’en fous. 

PHILIPPE : Non. 

JEANNE : Ça ne te fait pas grand-chose. 

PHILIPPE : Je laisse faire. 

JEANNE : Comme toujours. 

Philippe soupire. 

Ben oui, la stratégie de l’esquive. 

PHILIPPE : Arrête. Que veux-tu faire d’autre ? 

JEANNE : Aller à sa rencontre, lui téléphoner. 

PHILIPPE : Il ne répond pas. 

Ça ne sert à rien de s’agiter. 

Un temps. 

JEANNE : Qu’est-ce qu’on a raté, Philippe ? 

PHILIPPE : Je ne sais pas. Rien. 

JEANNE : Il y a des enfants qui sont heureux de retrouver leurs parents. Ça existe, non ? 

PHILIPPE : Oui. 

JEANNE : On l’a aimé, on s’est occupé de lui. 

PHILIPPE : Oui. 

JEANNE : Il pourrait, je ne sais pas… 

PHILIPPE : En tout cas, il se sent libre d’exprimer sa révolte. 

JEANNE : Oui. 

PHILIPPE : C’est déjà pas mal. 

JEANNE : Oui. 
Parfois j’ai peur qu’il se tue. 

PHILIPPE : Mais non. 

JEANNE : Si, j’ai peur.

PHILIPPE : Je ne crois pas qu’il en ait la force. 

JEANNE : C’est vrai, toi tu le vois plutôt clochard. 

PHILIPPE : À tout prendre, oui, je le vois plutôt traîner ses basques sans but que se jeter sous un métro. 

JEANNE : Ah, comme c’est rassurant.

(…)

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