Veronika Boutinova : “Dialogues avec un calendrier bulgare”

Face à face à trois entre deux phallocrates français, irréductibles célibataires et une jeune femme moldave emprisonnée dans un calendrier pornographique, qui sortant de sa photo vient réclamer son dû, sa dignité et ses droits… 

Un langage cru et sans concession pour une fable pertinente et puissante sur la misère sexuelle et le commerce des âmes dans nos démocraties occidentales.

extrait :

DIALOGUE 2 

(…)

LE CHAUVE — Il y a des matins où tout t’agresse. Où la lumière sale te compisse, le gris du jour qui pousse, le réveil de ton sexe dans sa solitude pileuse. 

LA FEMME DU CALENDRIER — Tu es poète en matin… ! 

LE CHAUVE — Il y a des jours où tout te griffe, les trottoirs cracheteux, les hommes dans les caniveaux, les visages rances des passants, leur odeur frôlé… 
Il y a des pics où la gerbe te grimpe, l’estomac brouillé qui escalade ton oesophage pour recracher tes oeufs, ça te menace dans ta bouche et… 
Il y a des nuits où le dégoût te gronde et te suicide entre cuisses et oubli. 
Il y a des secondes qui épluchent ta peau de bas en haut et… 

LA FEMME — Et puis c’est bien, c’est pas triste comme paroles… Tu pourrais gagner concours ! 

LE CHAUVE — Ah, ta gueule ! Tu es vraiment trop conne décidément ! Tu ne vois pas que je suis en train de lire un livre ! Un livre, tu sais au moins ce que c’est ?! C’est un collègue qui m’a prêté cette merde. Tu parles d’un poncif : la poésie illumine la pourriture du monde par la beauté du langage !! Non, décidément, ce n’est pas pour moi ces conneries à la mords-moi le noeud baudelairien ! Je vais retourner à mon bon vieux Parménide

Il jette le recueil de poésies dans un coin. Attrape une vieille moitié de baguette qu’il déchire et mange le morceau trempé dans son café. Puis il se plonge dans un autre livre. 

LA FEMME — Moi aussi, je peux essayer d’être poète ; j’ai commis quelques études, quoique tu me penses pour une grosse conne. Ecoute ! « La lumière, c’est du soleil mis en bouilli et refroidi. » Pas mal, hein ? Attends, l’autre métaphore : « Les robes, c’est des fleurs séchées auxquelles on a volé leurs couleurs. » 

LE CHAUVE ricane — Toi et les robes, c’est sûr, c’est une grande histoire, hein ? 

LA FEMME — C’est minuscule ce que tu dis ! C’est très méchant ! 

LE CHAUVE — Oui, c’est vrai, je reconnais, c’est un peu facile. Mais aussi des fois, je me demande bien pourquoi je te fais la conversation…

LA FEMME — Parce que tu es seul comme gros con… C’est évident. 

LE CHAUVE — Non, c’est plus complexe que ça, ma chérie. Je crois que je cherche à me confirmer l’enfer que ça doit être d’avoir une bonne femme à demeure, simplement pour éviter de faire une connerie. Je suis à peu près sûr que la solitude ne me fait pas trop peur. Je ne m’ennuie jamais et je suis libre de chaque minute de mon temps. Ca c’est précieux ! Pour le reste, je suis en perpétuel dialogue avec moi-même… Et un dialogue autrement plus profond que tes réflexions… 

Silence. Il replonge dans son livre de philosophie. 

LA FEMME — Tu fais la gueule ?! 

LE CHAUVE rit — Tu me crois capable de faire la gueule à un calendrier !? Non, mais fous-moi la paix, je viens de te dire il y a trois secondes que je réfléchis, moi. Je pense, moi. Je travaille.


(…)

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