France, manifestations violentes contre les nouvelles lois travail, une université de province est en grève. Autour du campus, se constitue une communauté éphémère faite de luttes et d’errances, de destins qui s’unissent par la force des idées et du désir, rapprochements de hasard qui bousculent le partage habituel des places de chacun. Comment vivre en ce monde de guerres sociales et intimes ?
Une dramaturgie en paysage pour raconter les tremblements d’une société tentant de vivre entre peur de la déchéance et rêves de transcendance. Un théâtre politique au plus près de l’humain.
extrait
V-
La même salle de cours à l’université. Les mêmes qu’à la séquence III.
Le Professeur (qui a arrêté son cours) Où sont les autres ?
Un Etudiant Il y a une autre manifestation cet après-midi. Certains sont déjà là-bas.
Le Professeur Et vous ? Pourquoi n’y êtes-vous pas ?
(Un temps)
Un Autre étudiant Les examens ont été maintenus, monsieur.
Le Professeur S’il n’y a plus d’élève, il n’y aura plus non plus d’examen.
Un Troisième S’il n’y a plus de professeur, il n’y aura plus non plus de sujet d’examen.
(Silence. Le professeur ne sait s’il doit reprendre son cours, ou s’arrêter là.)
Le Professeur Ce que je veux vous montrer, c’est qu’il y a une certaine déconstruction à opérer, du moins un certain nombre d’idées reçues, véhiculée par la pensée néolibérale, qu’il nous appartient de « dénaturaliser ». Ce principe de dissociation, lié à l’intérêt économique, en est une. Mais on retrouve chez Fergusson, ce même principe concernant le pouvoir.
Le Premier Vous voulez dire qu’un groupe, quel qu’il soit, n’aurait pas besoin d’une autorité extérieure pour s’organiser ?
Le Professeur C’est effectivement ce que dit Fergusson. Il affirme même que le pouvoir est produit antérieurement à toute institution politique et à toute codification juridique. Il cite l’exemple comme il dit des « sauvages de l’Amérique du Nord », je vous rappelle que ce texte date du XVIIIème siècle : en l’absence de toute « forme fixe de gouvernement », ces « nations » se conduisent avec tout le « concert » dont sont capables les « nations constituées », « leur société civile est organisée avec ordre sans l’aide de la police ou de lois coercitives. »
Le Troisième ACAB! (Quelques autres reprennent également) ACAB ! ACAB !
Le Professeur Pardon ?
Le Premier All Cops Are Bastards ! Les flics sont tous des bâtards !
Le Professeur Oui… ce n’est pas non plus, tout à fait l’objet de ce cours.
VI-
La cuisine de l’appartement, plus tard dans la matinée. La Mère est assise à la table, la Fille fume une cigarette à la fenêtre.
La Mère Il est sorti hier. Tu lui as parlé ? Pourquoi est-ce qu’il n’est pas venu directement ?
La Fille Je ne sais pas.
La Mère Il sait pour le petit?
La Fille Non.
(Temps)
La Mère Je suis fatiguée, moi, tu le sais ça ? Fatiguée. Tu verras quand ton fils à toi aussi te causera des soucis! Quand les voisins te regarderont de travers, à cause de sa conduite. Comme si les parents y pouvaient quelque chose... Quand ils te croiseront dans l’escalier sans oser demander vraiment ce qui arrive, et pour finir par ne plus te parler du tout. Jusqu’au jour où tu comprendras à leur regard distant, qu’ils l’ont appris par quelqu’un d’autre…
La Fille C’est toi qui ne parles plus aux voisins depuis qu’il a été arrêté.
La Mère Evidemment ! Parce que toi tu parles avec tout le monde ! Tu verrais les choses différemment, crois-moi, si tu avais un travail… Au moins un semblant de vie sociale, aux heures normales de la vie des autres. Mais tu craches sur tout ça. (Temps) A quoi elle a servi l’éducation que je vous ai donnée, à ton frère et à toi ? Me saigner les veines pour que vous puissiez aller dans un collège catholique parce que paraît-il là-bas, l’enseignement et la discipline y étaient meilleurs... Voilà le résultat !
La Fille C’est quoi cette morale de merde ! Qu’est-ce que tu ramènes le collège dans tout ça? On s’en fout de ta morale. Chacun essaie de s’en sortir, c’est tout. Alors arrête de juger les autres pour des affaires que tu ne connais pas, et occupe-toi des tiennes. La morale…
La Mère Ah oui ? Et où est-ce que tu irais avec ton enfant si je n’étais pas là ? Tu as un travail ?
(...)